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de lui, et il en éprouvait, à raison de son caractère, d’autant plus de satisfaction.

Il se trouvait là des Anglais, des Irlandais, des Allemands, des Écossais, tous munis de leur petite provision de vivres grossiers, tous vêtus d’habillements râpés ; presque tous ayant avec eux une quantité d’enfants. Des enfants, il y en avait de tout âge, depuis le poupon à la mamelle jusqu’à la jeune fille en haillons aussi grande que sa mère. Toutes les espèces de souffrances domestiques qui résultent de la pauvreté, de la maladie, de l’émigration forcée, du chagrin, du long voyage par une saison mauvaise, étaient amoncelées dans cet étroit espace ; et cependant on eût trouvé, au sein de cette arche insalubre, infiniment moins de plaintes et de récriminations, et infiniment plus d’assistance mutuelle et de sympathie générale que dans bien des salons les plus brillants.

Mark regardait donc attentivement autour de lui, et son visage s’illuminait à chaque scène nouvelle. Ici une vieille grand’mère était penchée sur un enfant malade, et le berçait dans ses bras encore plus faibles que les jeunes membres de l’enfant ; là, une pauvre mère avec un poupon sur les genoux raccommodait les vêtements d’une autre petite créature et en faisait taire une troisième qui de leur lit voulait descendre sur le plancher, afin de grimper sur elle. Il y avait des vieillards qui s’acquittaient gauchement de petits soins domestiques, et qui eussent pu paraître ridicules sans leur bonne volonté et leur zèle ; il y avait aussi de grands garçons basanés, véritables géants, qui accomplissaient de petits actes de tendresse envers leurs parents, tout comme s’ils étaient simplement les nains les plus affectueux. L’idiot même, qui dans son coin se balançait toute la journée, se sentait entraîné à imiter ce qu’il voyait pratiquer autour de lui, et faisait claquer ses doigts pour amuser un enfant qui pleurait.

« Voyons, dit Mark adressant un signe à une femme qui, à peu de distance de lui, habillait ses trois enfants (et en même temps il riait jusqu’aux oreilles), passez-moi un de ces marmots ; vous savez, c’est mon emploi.

– Vous feriez mieux de vous occuper du déjeuner, Mark, dit vivement Martin, au lieu de vous tracasser pour des gens qui vous sont étrangers.

– Fort bien, dit Mark. C’est elle qui fera le déjeuner. Voilà ce que c’est qu’une division bien entendue du travail, monsieur. Je débarbouille les enfants et elle apprête notre thé. Je