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lant en manière de monologue, il n’y a rien de plus absurde que la mer. Elle ne sait jamais ce qu’elle veut. Elle ne sait que faire, en vérité ; elle est dans un état continuel d’agitation déréglée, semblable à ces ours polaires qui, dans leurs cages de bêtes fauves, sont là à remuer constamment leur tête à droite et à gauche ; elle ne peut jamais rester tranquille, ce qui prouve bien sa stupidité extraordinaire.

— Est-ce vous, Mark ? demanda une voix faible partant d’une autre case.

— Du moins, monsieur, c’est tout ce qui reste de moi, après quinze jours d’une pareille besogne, répondit M. Tapley. Comment voulez-vous ? quand on mène la vie d’une mouche depuis que nous sommes à bord ; car j’ai été perpétuellement accroché d’un côté ou d’autre, la tête en bas ; quand on prend aussi peu de nourriture, et pour la vomir le plus souvent, comment voulez-vous qu’il vous reste grand’chose de votre individu ? Et vous, monsieur, comment vous trouvez-vous ce matin ?

— Très-mal, dit Martin avec un gémissement maussade. Ouf ! c’est affreux !

— C’est parfait, murmura Mark appuyant une main sur sa tête endolorie, et regardant tout autour de lui avec un ricanement assez triste. C’est excellent. Il y a du mérite à conserver ici quelque courage. La vertu porte en elle-même sa récompense. C’est comme la jovialité. »

Mark avait bien raison : car, sans contredit, tout homme qui conservait sa sérénité d’esprit dans la chambre d’arrière de ce noble et rapide paquebot nommé le Screw, ne le devait qu’à ses propres ressources, et, pour sa bonne humeur comme pour ses paquets, il fallait qu’il en prît soin lui-même, sans compter sur l’assistance des propriétaires du navire. Une chambre sombre, basse, suffocante, encombrée de lits que remplissent des hommes, des femmes et des enfants, tous plus ou moins malades et misérables, n’est en aucun temps un lieu bien agréable de réunion ; mais quand il y avait une telle presse dans la chambre d’arrière (comme il arrivait à chaque traversée du Screw), que les matelas et les lits étaient entassés sur le plancher, sans aucune considération de bien-être, de propreté et de décence, il était bien naturel qu’un pareil état de choses, au lieu d’entretenir des sentiments sociables, encourageât plutôt l’égoïsme et la mauvaise humeur. Mark voyait bien cela de son siège, en regardant tout ce qui se passait autour