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la terre, c’est sur l’immense étendue des eaux. C’est ici où toute la nuit retentissent des hurlements, des cris de rage, des clameurs lugubres, des rugissements. C’est ici où se portent les voix bruyantes qui sortent des cavernes creusées sous la côte de telle petite île endormie maintenant et si tranquille au sein même des flots qui la battent avec fureur à plus de cent lieues de distance. C’est ici où, à la rencontre de ces voix, accourent des trombes de mille endroits inconnus du monde. C’est ici où, dans l’excès de leur liberté sans limites, les nuages et le vent s’étreignent et se combattent mutuellement jusqu’à ce que la mer, se mettant à l’unisson, s’abandonne à une furie plus ardente encore, et que toute la scène ne forme plus qu’un ensemble d’immense folie.

Les longues et hautes vagues roulent, roulent, roulent sur cette étendue sans bornes comme sans repos. Des montagnes se dressent, des abîmes se creusent, puis disparaissent un moment après. C’est une poursuite, un combat, un cliquetis insensé de vague contre vague, une étreinte sauvage terminée par un jet d’écume qui blanchit la nuit noire ; un continuel changement de place, de forme, de couleur ; c’est une lutte éternelle et sans trêve. Les vagues roulent, roulent, roulent, et plus la nuit devient sombre, plus les vents mugissent, et plus s’élèvent aussi avec force et violence les clameurs du million des voix de la mer, pour pousser toutes ensemble ce cri qui domine la tourmente : « Un vaisseau ! »

Il s’avance, le vaisseau, luttant bravement contre les éléments déchaînés ; ses grands mâts tremblent, ses charpentes tressaillent. Il s’avance, tantôt emporté sur le sommet des vagues qui se plissent, tantôt se plongeant dans les profondeurs de la mer comme pour s’y mettre un moment à l’abri de sa furie ; et, dans l’air et sur les eaux, la voix de la tempête crie plus fort que jamais : « Un vaisseau ! »

Il s’avance, le vaisseau, continuant sa lutte ; en face de son audace et au bruit de la clameur qui s’étend, les vagues courroucées escaladent mutuellement leurs têtes chenues pour le contempler ; elles accourent de toutes parts autour de lui, aussi loin que les matelots peuvent voir du haut du pont à travers l’obscurité ; elles s’attachent aux flancs du navire, grimpent les unes sur les autres, s’élançant, bondissant, pour satisfaire leur curiosité terrible. Les lames se brisent par-dessus le vaisseau ; elles montent, elle rugissent autour de lui ; puis, faisant place à d’autres, elles s’éloignent en gémissant et sont