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importante. Désormais, que toute allusion à lui soit interdite entre nous. C’est pourquoi, mon amour, poursuivit-il en la pressant contre son sein, car le moment de se séparer était venu, dans la première lettre que vous m’écrirez par la poste à New-York, comme dans toutes les autres que vous m’enverrez par l’intermédiaire de Pinch, rappelez-vous que le vieillard n’existe pas, qu’il est pour nous comme s’il était mort. Maintenant, que Dieu vous garde ! Le lieu où nous sommes est singulier pour une telle séparation ; mais notre prochaine entrevue se fera dans un lieu meilleur, pour ne plus nous séparer que dans la mort.

— Une dernière question, Martin, je vous prie. Vous êtes-vous muni d’argent pour ce voyage ?

— Si je m’en suis muni ? » s’écria le jeune homme. Autant par orgueil que dans le désir de la rassurer, il répondit : « Si je me suis muni d’argent ? Voilà une jolie question pour la femme d’un émigrant ! Comment, mon amour, pourrait-on, sans argent, voyager sur terre ou sur mer ?

— Je veux dire, en avez-vous assez ?

— Si j’en ai assez ! J’en ai plus, vingt fois plus qu’il ne m’en faut. J’en ai plein ma poche. Mark et moi, pour nos besoins, nous sommes aussi riches que si nous avions dans notre bagage la bourse de Fortunatus.

— La demie approche !… cria M. Tapley.

— Adieu, cent fois adieu !… » s’écria Mary, d’une voix tremblante.

Mais quelle triste consolation qu’un froid adieu ! Mark Tapley le savait parfaitement. Peut-être le savait-il d’après ses lectures, ou par expérience, ou par simple intuition. Il nous est impossible de le dire ; mais, de quelque façon qu’il le sût, cet instinct lui suggéra le plus sage parti qu’aucun homme ait jamais pris en pareille circonstance. Il fut saisi d’un violent accès d’éternuement qui l’obligea de tourner la tête d’un autre côté. De cette manière, il laissa les amoureux tout seuls, abrités et invisibles dans leur coin.

Il y eut une courte pause ; mais Mark eut une vague idée que les choses se passaient d’une manière très-agréable pendant ce temps. Mary parut ensuite devant lui avec son voile baissé, et l’invita à la suivre. Elle s’arrêta avant qu’ils eussent quitté l’allée, se retourna et envoya de la main un adieu à Martin. Il fit un pas vers eux en ce moment, comme s’il avait encore quelques dernières paroles à ajouter ; mais Mary s’é-