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rondir une période, sans se mettre beaucoup en peine du sens de ce mot. Et c’est ce qu’il pratiquait avec tant d’assurance et d’une façon si imposante, que parfois son éloquence déconcertait les gens les plus sensés, qui en restaient tout ébahis.

Ses ennemis affirmaient, soit dit en passant, qu’un grand fond d’assurance dans les mots et les formes servait de passe-partout au caractère de M. Pecksniff.

« Est-il beau, p’pa ? demanda la plus jeune fille.

— Êtes-vous sotte, Merry ! » dit l’aînée.

Merry était le diminutif familier de Mercy.

« Quel est le prix de la pension, p’pa ? ajouta Charity. Dites-le-nous.

— Oh ! que c’est joli, Cherry ! s’écria miss Mercy, qui leva les mains et fit entendre un rire étouffé, le plus charmant du monde ; que vous avez l’esprit mercenaire pour une jeune fille ! Mauvaise que vous êtes, vous ne pensez qu’au solide. »

C’était en vérité chose tout à fait ravissante et digne des temps de l’âge pastoral, de voir comment les deux miss Pecksniff échangèrent des tapes d’amitié après ces paroles, puis se mirent à s’embrasser, chacune à sa manière, selon la différence de leur humeur.

« Il est bien, dit M. Pecksniff, à voix basse mais intelligible ; il est assez bien. Je ne compte pas recevoir immédiatement le prix de sa pension. »

À cette nouvelle, et malgré la dissemblance de leur caractère, Charity et Mercy ouvrirent à la fois de grands yeux et parurent un moment déconcertées, comme si leur pensée unanime se fût concentrée sur cette éventualité inquiétante.

« Mais qu’est-ce que cela fait ? dit M. Pecksniff, souriant de nouveau à son feu. Il y a du désintéressement en ce monde, je l’espère ? Nous ne sommes pas tous rangés en deux camps opposés : l’offensive et la fensive. Il y a de braves gens marchant entre ces deux extrêmes, tendant la main sur leur passage à ceux qui ont besoin de leur assistance, sans prendre parti ni pour ni contre, hum ! »

Dans ces aphorismes philanthropiques il y avait quelque chose qui rassura les deux sœurs. Elles échangèrent un regard et reprirent leur entrain.

« Oh ! ne soyons pas toujours à calculer, à projeter, à combiner pour l’avenir, dit M. Pecksniff, souriant de plus en plus, et regardant le foyer de l’air d’un homme qui ne parle pas aussi sérieusement qu’il le paraît ; je suis las de préoccupa-