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fermer la maison. Il rapportait la bonne nouvelle qu’il avait fait parvenir à la demoiselle la lettre contenue dans un petit écrit de sa façon, censé une nouvelle demande à l’effet d’être admis au service de M. Chuzzlewit. La demoiselle était descendue elle-même et lui avait dit, à la hâte et d’un air troublé, qu’elle comptait voir le gentleman le lendemain à huit heures, dans le parc de Saint-James. Alors il fut convenu entre le nouveau maître et le nouveau domestique que Mark se trouverait de très-bonne heure près de l’hôtel, pour escorter la demoiselle jusqu’au lieu du rendez-vous. Tout cela bien entendu, ils se séparèrent pour la nuit ; Martin reprit sa plume, et, avant de se mettre au lit, il écrivit une autre lettre dont nous allons parler tout à l’heure.

Le jeune homme était debout à la pointe du jour. Dès le matin il arriva au Parc, qui avait mis ce jour-là le moins agréable des trois cent soixante-cinq costumes que l’année compte dans sa garde-robe. Le temps était gris, humide, sombre et triste ; les nuages offraient une teinte aussi limoneuse que le sol ; et le brouillard, tel qu’un rideau sali, fermait la courte perspective de chaque rue, de chaque avenue.

« Un beau temps en vérité ! se dit amèrement Martin ; un beau temps pour errer çà et là, comme un voleur ! Un beau temps, en vérité, pour un rendez-vous amoureux, en plein air et dans une promenade publique ! J’ai hâte de partir le plus tôt possible pour un autre pays ; j’en ai bien assez de celui-ci !… »

Peut-être allait-il songer en même temps que, de toutes les matinées de l’année, celle-ci n’était pas non plus celle qui convenait le mieux à une jeune fille pour courir la prétentaine. Mais, en tout cas, il n’eut pas le temps de faire cette réflexion, car il aperçut miss Mary à une petite distance, et il s’empressa de courir à sa rencontre. L’écuyer de la demoiselle, M. Tapley, s’écarta en même temps discrètement, et se mit à contempler le brouillard au-dessus de sa tête avec un profond intérêt.

« Mon cher Martin ! dit Mary.

— Ma chère Mary ! » dit Martin.

Les amoureux sont de si singulières gens, que ce fut là tout ce qu’ils purent se dire d’abord, bien que Martin eût pris le bras et aussi la main de Mary, et qu’ils eussent arpenté une demi-douzaine de fois une petite allée écartée.

« Mon amour, dit enfin Martin en la contemplant avec or-