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vous… je souligne vous… qui avez réduit ce petit événement aux froides et mesquines proportions d’une affaire, quand j’étais disposé à traiter les choses avec vous comme entre amis. Puisqu’il ne s’agit plus que d’une affaire, monsieur, je vous demande la permission de vous dire que j’espère recevoir comme une charité une bagatelle, juste prix de commission pour les humbles services que je viens de vous rendre dans votre négociation pécuniaire. Après les termes dans lesquels vous venez de me parler, monsieur, je ne me regarderai pas comme offensé, s’il vous plaît, que vous m’offriez au moins un demi-souverain. »

Martin tira de sa poche cette pièce d’argent et la lui lança. M. Tigg l’attrapa, la regarda pour s’assurer si elle était bonne, la fit sauter en l’air d’un coup de pouce comme les pâtissiers ambulants, et la plongea dans son gousset. Enfin il éleva son chapeau à un pouce ou deux au-dessus de sa tête, en forme de salut militaire, et, après avoir, d’un air de profonde gravité, paru chercher quelle direction il devait prendre et quel était le comte ou marquis à qui il donnerait la préférence d’une première visite, il enfonça ses mains dans les poches de ses basques et tourna le coin de la rue. Martin prit la direction opposée, enchanté de cette séparation.

C’était avec un sentiment d’humiliation profonde qu’il maudissait la mauvaise chance qu’il avait eue de rencontrer cet homme chez le prêteur sur gages. Sa seule consolation dans ce pénible souvenir, c’était l’aveu volontaire fait par M. Tigg de sa brouille avec Slyme. « Au moins, pensait Martin, ma position ne sera connue d’aucun membre de ma famille ; » car, à cette idée, il se sentait plein de honte, et son orgueil était profondément blessé. Pourtant, à priori, il y avait plutôt lieu de supposer que M. Tigg avait fait une fable, que d’attacher la moindre foi à ses paroles ; mais Martin y trouvait une apparence raisonnable de vraisemblance en se rappelant sur quel pied M. Tigg avait vécu dans l’intimité de ce gentleman, et se disait qu’il y avait une forte probabilité que le premier s’était établi à son compte pour s’affranchir de toute dépendance envers M. Slyme. Quoi qu’il en fût, Martin en conçut l’espérance : c’était déjà quelque chose.

Son premier soin, maintenant qu’il avait un peu d’argent comptant pour subvenir aux besoins du moment, fut de rester à l’hôtel dont nous avons parlé, et d’adresser à Tom Pinch une lettre en langage officiel (il savait bien qu’elle passerait