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— Où allez-vous ? où allez-vous ?

— Je l’ignore ; mais non, je le sais. Je vais en Amérique !

— Non, non, s’écria Tom avec une sorte d’angoisse. N’y allez pas, je vous en supplie, n’y allez pas ! ravisez-vous ! Ne soyez pas si cruel pour vous-même ; n’allez pas en Amérique !

— Ma résolution est arrêtée, dit Martin. Votre ami avait raison ; j’irai en Amérique. Dieu vous garde, Pinch !

— Prenez ceci, s’écria Tom, lui remettant un livre d’une main toute tremblante d’émotion. Il faut que je m’en retourne bien vite, et je n’ai pas le temps de vous dire tout ce que je voudrais. Que le ciel soit avec vous ! Vous regarderez au feuillet où j’ai fait une corne. Adieu ! adieu ! »

L’excellent garçon, les joues couvertes de larmes, pressa avec angoisse la main de Martin, et les deux jeunes gens se séparèrent en toute hâte, courant chacun dans une direction opposée.



CHAPITRE XIII.

Où l’on verra ce qu’il advint de Martin et de sa résolution désespérée quand il eut quitté la maison de Pecksniff ; quelles gens il rencontra, quelles épreuves il eut à supporter, et quelles nouvelles il apprit.


Portant, sans y penser, sous son bras le livre de Tom Pinch, et n’ayant pas même boutonné son habit pour se mettre à couvert de la pluie battante, Martin continua de courir résolument du même pas précipité, jusqu’à ce qu’il eût dépassé le poteau de poste et se trouvât sur la grand’route de Londres. Même alors il ne ralentit point sa marche, mais il commença à réfléchir, à jeter les yeux autour de lui, et à dégager ses sens de l’étreinte des passions violentes qui jusque-là l’avaient dominé.

Il faut avouer qu’en ce moment ses facultés morales ou physiques n’étaient pas très-agréablement occupées. Le jour dessinait à l’est sa lueur sur une bande d’aube pluvieuse, qu’interceptaient par leur passage des nuages ternes d’où la pluie tombait en un brouillard serré et humide. Cette pluie dégouttait à travers les brindilles et les ronces des haies ; elle formait de petits ravins sur la route où elle coulait par cent ca-,