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quatre heures et demie, tout frissonnants sous l’humidité pénétrante d’une matinée d’hiver : cependant ils arrivèrent ponctuellement au rendez-vous, et se trouvèrent au poteau, juste une demi-heure avant le temps marqué. Ce n’était certes pas une agréable matinée, car le ciel était sombre, chargé de nuages, et il pleuvait à verse. Martin s’en vengeait en disant qu’il y avait plaisir à voir trempée jusqu’aux os une brute de cheval (désignant par là le coursier arabe de M. Pecksniff), et en ajoutant que, pour sa part, il se réjouissait de ce qu’il pleuvait si fort. D’où l’on peut conclure avec raison que l’humeur de Martin ne s’était pas amendée : car, tandis qu’avec M. Pinch il se tenait à l’abri derrière une haie, regardant la pluie, le cabriolet, le chariot et le cocher dont les habits étaient tout fumants, il ne cessa de grogner ; et, n’était que pour se disputer il faut être deux, il eût certainement été bien aise d’avoir une querelle avec Tom.

Enfin un bruit sourd de roues se fit entendre au loin ; la diligence apparut, pataugeant dans la boue et la fange : sur l’impériale, il y avait un malheureux voyageur couché dans la paille mouillée, sous un parapluie tout trempé ; le cocher, le conducteur, les chevaux, étaient dans un état aussi pitoyable les uns que les autres. M. Pecksniff baissa la glace et salua Tom Pinch.

« Bon Dieu ! monsieur Pinch ! est-il possible que vous soyez dehors par un aussi mauvais temps ?…

— Oui, monsieur, s’écria Tom qui s’avança avec empressement. M. Chuzzlewit et moi, monsieur…

— Oh ! dit M. Pecksniff, qui ne regarda pas plus Martin que le poteau près duquel il était, oh ! vraiment ! Rendez-moi le service de veiller sur les malles, monsieur Pinch. »

M. Pecksniff descendit alors et aida ses filles à mettre pied à terre ; mais ni le père ni les jeunes demoiselles ne firent le moins du monde attention à Martin, qui s’était approché pour offrir ses services ; il fut prévenu par M. Pecksniff, qui aussitôt se plaça entre lui et la voiture en lui tournant le dos. Dans cette position, et sans rompre le silence, M. Pecksniff fit monter ses filles dans le cabriolet ; puis grimpant après elles, il prit les guides et se dirigea vers sa maison.

Confondu d’étonnement, Martin était resté les yeux fixés sur la diligence, et, quand elle eut disparu, il contempla M. Pinch et le bagage jusqu’à ce que le chariot fût parti à son tour ; alors il dit à Tom :