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— Non, non, répliqua son ami, composant ses traits. Vous avez parfaitement raison. Ce n’est pas du tout risible.

— Vous savez, reprit M. Pinch, votre bonne nature et votre cœur sympathique vous rendent imprévoyant ; mais vous ne sauriez être trop réfléchi sur un point comme celui-ci. Sur ma parole, si je pensais que vous dussiez tomber en mauvaise compagnie, j’en serais désolé, car je n’ignore pas combien vous auriez ensuite de peine à vous en débarrasser. J’aimerais mieux, John, avoir perdu cet argent que de l’avoir retrouvé à de pareilles conditions.

— Je vous dis, mon cher bon vieux camarade, s’écria son ami, le secouant des deux mains à droite et à gauche et souriant d’un air vif et ouvert qui eût suffi pour porter la conviction dans un esprit bien plus soupçonneux que celui de Tom, je vous dis qu’il n’y a aucun danger.

— Bien !… Je suis heureux d’entendre cette déclaration ; elle me comble de joie. Je suis sûr qu’il n’y a pas de danger, dès que vous l’affirmez de cette manière. J’espère, John, que vous ne prendrez pas en mal ce que je viens de vous dire.

— En mal !… dit l’autre lui pressant vivement la main ; comment me croyez-vous donc fait ? M. Tigg et moi, nous ne sommes pas sur un pied d’intimité qui puisse vous causer la moindre inquiétude. Je vous en donne l’assurance solennelle. Vous voilà tranquillisé à présent, n’est-ce pas ?

— Tout à fait, dit Tom.

— Alors, encore une fois, bonne nuit.

— Bonne nuit ! s’écria Tom ; et puissiez-vous faire autant de songes heureux qu’en doit avoir le sommeil du meilleur garçon qu’il y ait au monde !

— Après Pecksniff, dit l’ami en s’arrêtant un moment au seuil de la porte, et jetant gaiement un regard en arrière.

— Après Pecksniff naturellement, » dit Tom Pinch avec beaucoup de gravité.

Il se séparèrent ainsi pour la nuit : John Westlock, le cœur léger et l’esprit allègre ; le pauvre Tom Pinch très-satisfait, bien qu’en se tournant sur le côté dans son lit, il se répétât encore : « C’est égal, je donnerais je ne sais quoi pour qu’il ne connût pas M. Tigg ! »

Le lendemain matin de très-bonne heure ils déjeunèrent ensemble, car les deux autres jeunes gens désiraient ne pas tarder à se mettre en route ; et quant à John Westlock, il devait ce jour-là même, retourner à Londres par la diligence. Comme