Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, je l’ai naturellement, s’écria Tom. C’est précisément ce que je vous ai si souvent répété. Si vous le connaissiez aussi bien que moi, John (je donnerais pour cela je ne sais quoi), vous auriez pour lui de l’admiration, du respect, de la vénération. Vous ne pourriez vous défendre de ce sentiment. Oh ! comme vous avez affligé son cœur en partant !

— Si j’avais su où était situé son cœur, répliqua Westlock, j’eusse agi de mon mieux, Tom, pour ne pas le blesser, soyez-en certain. Mais comme je ne pouvais l’affliger dans ce qu’il n’a pas, dans des sentiments dont il ne se doute même pas, excepté chez les autres, pour les froisser jusqu’au vif, je crains de ne pouvoir mériter les compliments que vous venez de me faire. »

M. Pinch, ne se souciant pas de prolonger une discussion qui était de nature à corrompre Martin, s’abstint de rien répondre à ce discours. Mais John Westlock, à qui il n’eût fallu rien moins qu’un bâillon de fer pour le réduire au silence quand les vertus de M. Pecksniff étaient mises sur le tapis, poursuivit en ces termes :

« Son cœur ! oh ! le tendre cœur, en vérité !… Son cœur ! oh ! le respectable, le consciencieux, le timoré, le moral vagabond !… Son cœur ! oh !… Eh bien, Tom, qu’avez-vous donc ? »

M. Pinch, pendant ce temps, s’était levé et, adossé à la cheminée, il boutonnait sa redingote avec une grande énergie.

« Je ne puis supporter cela, dit-il en secouant la tête. Non, vraiment je ne le puis. Veuillez m’excuser, John. J’ai pour vous beaucoup d’estime, beaucoup d’amitié ; je vous aime infiniment ; aujourd’hui j’ai été charmé, ravi au delà de toute expression de vous retrouver exactement le même qu’autrefois ; mais je ne puis entendre cela.

— Comment ? Mais vous savez bien que j’ai toujours été de même, Tom, et vous disiez vous-même, tout à l’heure, que vous étiez heureux de voir que je n’avais pas changé.

— Non pas à cet égard, dit Tom Pinch. Excusez-moi, John. Je ne puis vraiment entendre cela ; je ne l’entendrai pas davantage. C’est une injustice criante ; vous devriez être plus mesuré dans vos expressions. C’était déjà assez mal quand il n’y avait que vous et moi ; mais dans les circonstances actuelles, je ne puis supporter cela. Vraiment je ne le puis pas.

— Vous avez parfaitement raison ! s’écria l’autre, échangeant un regard d’intelligence avec Martin ; et j’ai tort, mon