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— Pas plus fort qu’il ne le mérite, dit John ; et, s’il m’invitait à exprimer devant lui mon opinion sur son compte, je le ferais dans les mêmes termes, sans y rien modifier. La manière dont il traite Pinch suffirait pour justifier mes paroles mais, quand je reviens par la pensée sur les cinq années que j’ai passées dans cette maison ; quand je me représente l’hypocrisie, la fourberie, les bassesses, les feintes, les discours mielleux de ce drôle, son habileté à couvrir sous de beaux semblants les plus odieuses réalités ; quand je me rappelle combien de fois j’ai assisté à ses mauvaises pratiques, et même combien de fois j’y ai été en quelque sorte associé, par le fait seul d’être présent et de l’avoir pour maître, je vous jure que je suis tenté de me mépriser moi-même. »

Martin vida son verre, puis fixa son regard sur le feu.

« Je ne veux pas dire que j’aie des reproches à me faire, continua John Westlock, car il n’y avait pas de ma faute ; et je conçois de même que, tout en l’appréciant ce qu’il vaut, vous soyez forcé par les circonstances de rester chez lui. Je vous dis simplement la honte que j’en éprouve pour mon compte ; maintenant même que, selon votre expression, tout est fini, et que j’ai la satisfaction de savoir qu’il m’a toujours détesté, que nous nous sommes toujours querellés et que je lui ai toujours dit ce que j’avais dans le cœur, eh bien ! maintenant encore, je regrette de n’avoir pas cédé à l’envie que j’ai eue vingt fois de me sauver comme un enfant, et de m’enfuir en Amérique.

— Pourquoi en Amérique ? demanda Martin, les yeux attachés sur son interlocuteur.

— Pour chercher, répliqua John Westlock en levant les épaules, à gagner ma vie, que je ne pouvais gagner en Angleterre. C’était un parti désespéré, mais généreux. Tenez ! remplissez votre verre et ne parlons plus de Pecksniff.

— Comme vous voudrez, dit Martin. Quant à moi et à ma parenté avec Pecksniff, je me bornerai à vous répéter mes paroles. Je me suis mis à mon aise avec lui, et je continuerai plus que jamais : car le fait est, à vous dire vrai, qu’il a l’air de compter sur moi pour suppléer à son ignorance, et qu’il ne se résignerait pas volontiers à me perdre. Je m’en doutais bien quand je suis entré chez lui. À votre santé !

— Merci, répondit le jeune Westlock. À la vôtre. Et puisse le nouvel élève être aussi bien que vous pouvez le désirer !

— Quel nouvel élève ?