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rendre à pied à Salisbury ; ce qui, au bout du compte, valait mieux que de voyager dans le cabriolet, par ce temps froid et rude.

Si cela valait mieux ! je crois bien. Cette bonne course, favorable à la gaieté et à la santé, cette course de quatre milles au moins à l’heure, était bien préférable à ce vieux et rustique cabriolet sautant, cahotant, craquant, étourdissant. Il n’y avait pas de comparaison possible, et ce serait faire injure au voyage pédestre que de l’assimiler au voyage en cabriolet. Trouvez-moi un exemple d’un cabriolet qui ait jamais fait circuler le sang d’un homme, à moins que ce ne soit en mettant le malheureux en grand danger d’avoir le cou rompu, et en lui occasionnant par là des bourdonnements et une chaleur insupportable dans les veines, dans les oreilles et le long de l’épine dorsale, sensation plus saisissante qu’agréable ! Jamais cabriolet a-t-il éveillé chez quelqu’un l’esprit et l’énergie, à moins que le cheval ne prît le mors aux dents et ne se mît à descendre follement une côte escarpée terminée par un mur de roche ? circonstance désespérée qui forçait le gentleman enfermé dans la voiture à tenter quelque manière nouvelle et inouïe de se laisser glisser par derrière. Si cela vaut mieux qu’un cabriolet ? je crois bien !

L’air est froid, mon brave Tom ; c’est vrai, impossible de le nier ; mais eût-il été plus agréable dans le cabriolet ? Le feu du noir forgeron jette une vive clarté et lance en haut son jet de flamme, comme pour tenter les passants ; mais eût-il offert moins de séduction, vu à travers les humides carreaux d’un cabriolet ? Le vent souffle violemment, piquant le visage du courageux voyageur qui lutte contre lui, l’aveuglant avec ses propres cheveux s’il en a assez pour cela, ou, s’il n’en a pas, avec la poussière glacée du chemin ; lui coupant la respiration, comme si on le plongeait dans un bain russe ; écartant brusquement les vêtements qui l’enveloppent et pénétrant jusqu’à la moelle de ses os : mais tous ces désagréments n’eussent-ils pas été pires cent fois en cabriolet ? Nargue des cabriolets !

Si cela vaut mieux qu’un cabriolet ? par exemple ! Où avez-vous jamais vu des voyageurs, cahotés par les roues et secoués par le sabot des chevaux, avoir comme nos deux camarades les joues chaudes et vermeilles ? Où avez-vous jamais entendu des voyageurs faire résonner de plus bruyants éclats de rire, quand ils sont forcés de pivoter sur eux-mêmes devant les