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tendez votre retour ici, je n’y serai plus, et que le garçon qui me remplacera ne méritera pas qu’on lui donne un sou, je le sais. »

Les deux demoiselles répondirent à cet appel prudent tant pour leur compte qu’au nom de leur père ; et vu l’amitié, elles gratifièrent si libéralement M. Bailey, que celui-ci ne savait comment leur marquer sa reconnaissance. Il fit pourtant de son mieux tout le long de la journée, en donnant à chaque instant de petits coups sur sa poche et en se livrant à d’autres exercices de pantomime comique. Il ne se borna point à ces démonstrations : car, outre qu’il écrasa un carton qui contenait un chapeau, il fit de fortes avaries au bagage de M. Pecksniff en le traînant avec trop de zèle du haut en bas de la maison. En un mot, il ne savait comment témoigner sa vive gratitude des marques de bienveillance qu’il avait reçues de ce gentleman et de sa famille.

M. Pecksniff et M. Jinkins revinrent dîner bras dessus bras dessous. Ce dernier s’était à dessein ménagé un demi-congé, prenant ainsi un avantage immense sur le plus jeune gentleman et les autres dont, par malheur pour eux, le temps était confisqué jusqu’au soir. M. Pecksniff paya le vin ; le repas fut très-gai, bien qu’on y gémît sur la nécessité de se séparer. Tandis que les convives étaient le plus en train de goûter ces douceurs de l’intimité, on annonça la visite du vieil Anthony et de son fils, à la grande surprise de M. Pecksniff et au grand déplaisir de Jinkins.

Anthony s’assit auprès de Pecksniff à un coin de la table, laissant les assistants causer entre eux, et lui dit à voix basse :

« Vous voyez, nous sommes venus vous faire nos adieux. À quoi bon entretenir la division entre nous ? Nous ne sommes, chacun à part, qu’une lame inutile ; mais réunis, Pecksniff, nous pourrions faire une bonne paire de ciseaux, hein…

— L’union, mon bon monsieur, répondit Pecksniff, est toujours excellente.

— Je ne sais pas trop, dit le vieillard ; car il y a des gens avec qui j’aimerais mieux être en désaccord qu’en bonne harmonie. Mais vous connaissez mon opinion sur vous. »

M. Pecksniff, qui avait toujours sur le cœur l’épithète d’hypocrite, se contenta de hocher la tête, ce qui tenait le milieu entre l’affirmation et la négation.

« Vous avez mal pris la chose ; je voulais seulement vous