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Elles se mirent à rire et répondirent que leurs cheveux étaient bien en effet leur propriété naturelle.

« Oh ! oui, pas mal, dit-il ; plus souvent qu’ils sont naturels ! Je sais toujours bien que ses cheveux à elle ne sont pas ses cheveux. Tenez, une fois je les ai vus accrochés à ce clou près de la fenêtre. Outre ça, plusieurs fois, au moment où on dînait, je me suis mis derrière elle et je les lui ai tirés, sans que jamais elle s’en doutât. Je vous dirai, mesdemoiselles, que je vais quitter d’ici. Je ne veux pas rester plus longtemps à m’entendre dire des sottises par elle ! »

Miss Mercy lui demanda quels étaient ses projets pour l’avenir. M. Bailey annonça qu’il songeait à entrer dans les bottes à revers[1] ou dans l’armée.

« Dans l’armée !… s’écrièrent les deux demoiselles en riant.

— Pourquoi pas ? dit Bailey. N’y a-t-il pas des tambours à la Tour de Londres ? Je les connais, moi. Et que la patrie a beaucoup de considération pour eux, encore !

— Mais vous vous ferez tuer, objecta Mercy.

— Eh bien ! s’écria M. Bailey, qué que ça fait ? c’est déjà pas si dégoûtant, mesdemoiselles, n’est-ce pas ? J’aime mieux recevoir un coup de canon qu’un coup de rouleau à pâte[2], car elle ne se gêne pas pour m’en flanquer des coups quand elle est de mauvaise humeur de ce que les gentlemen ont trop bon appétit. Comme si, dit M. Bailey, s’exaspérant par le souvenir de ses griefs, comme si c’était ma faute à moi s’ils consomment les vivres.

— Assurément non ; qui pourrait songer à vous en rendre responsable ? dit Mercy.

— Ah ! vous croyez ça, répliqua-t-il. Vous dites que non, et moi je dis que si. Ah ! ah ! Personne ne peut m’en rendre responsable ! Je le sais bien peut-être. Mais je n’ai pas envie qu’on se paye chaque jour sur mon dos du renchérissement des denrées. Je n’ai pas envie qu’on me tue parce que tout est cher au marché. Je ne veux pas rester. V’là donc pourquoi, ajouta M. Bailey, se calmant un peu et souriant, si vous avez l’intention de me donner quelque chose, vous ferez mieux de me le donner tout de suite, parce que, si vous at-

  1. C’est-à-dire à devenir domestique dans une grande maison avec des bottes à revers
  2. De pâtissier