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nante, encore moins quand il s’agissait d’une sœur bien-aimée, « quel que soit en réalité son caractère, » ajouta Charity avec un regard courroucé.

« Bien, ma chère, dit Mercy ; la seule observation que j’aie à faire, c’est que, si nous ne sortons pas tout de suite, je vais certainement ôter mon chapeau pour rester au logis. »

Cette menace eut l’effet souhaité d’empêcher toute altercation ultérieure ; car M. Jonas proposa immédiatement une trêve, et la trêve étant votée à l’unanimité, ils quittèrent aussitôt la maison. Sur le seuil, M. Jonas donna le bras à chacune de ses cousines. Bailey junior, qui, d’une fenêtre de mansarde, avait observé cet acte de galanterie, le salua d’une violente quinte de toux bien accentuée, dont il paraît qu’il n’était pas encore délivré lorsque les promeneurs tournèrent le coin de la rue.

M. Jonas commença par demander à ses compagnes si elles étaient bonnes marcheuses et, sur leur réponse affirmative, il soumit leurs facultés pédestres à une assez forte épreuve ; car il montra aux demoiselles Pecksniff nombre de curiosités, ponts, églises, rues, façades de théâtres et autres merveilles gratuites, leur faisant voir en une seule matinée ce qui prendrait à bien des gens une année entière. Ce qu’il y avait de remarquable chez ce gentleman, c’était son insurmontable aversion pour l’intérieur des édifices : il appréciait à sa juste valeur le mérite des monuments qu’on ne pouvait visiter sans rétribution, les trouvant tous détestables, et du plus mauvais goût. C’était même chez lui une opinion si fortement arrêtée, que miss Charity s’étant avisée de dire que sa sœur et elle avaient été deux ou trois fois au spectacle avec M. Jinkins et d’autres personnes, il s’informa tout naturellement « par quel moyen l’on s’était procuré des billets de faveur ; » et qu’ayant appris que M. Jinkins et ses amis avaient payé, il parut trouver cela très-amusant, faisant observer « qu’il fallait que ce fussent des innocents et des niais ; » et dans le cours de la promenade, il se livra par souvenir à des éclats de rire intermittents, en songeant à l’incroyable stupidité de ces gentlemen et, cela va sans dire, à la supériorité de son propre sens.

Lorsqu’ils eurent marché durant plusieurs heures et qu’ils furent complètement fatigués, M. Jonas apprit aux deux demoiselles qu’il allait leur donner le régal d’une des meilleures plaisanteries qu’il connût. Cette plaisanterie était d’une na-