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ramener au logis ; puis, de toutes les fenêtres des cottages, des lumières commencèrent à darder leur regard clignotant sur les champs obscurcis.

Alors la forge du village épanouit ses feux dans toute sa gloire. Les vigoureux soufflets mugirent en envoyant leur ha ! ha ! au feu vif, qui mugit à son tour et fit voltiger gaiement les brillantes étincelles, au sonore écho des marteaux sur l’enclume. Le fer embrasé se piqua d’émulation, et, non moins étincelant, sema tout autour avec profusion ses rouges rubis enflammés. Le robuste forgeron avec ses compagnons multiplia si bien ses coups, qu’ils forçaient la nuit même à s’égayer dans sa tristesse et jetaient une illumination sur sa face sombre, tandis qu’elle se penchait vers la porte et les fenêtres, regardant curieusement par-dessus les épaules d’une douzaine de flâneurs. Quant à ces spectateurs paresseux, ils restaient là, rivés à leur place comme par un sortilège ; parfois hasardant un coup d’œil sur l’ombre qui s’étendait derrière eux, ils n’en reportaient qu’avec plus de plaisir sur le seuil de la forge leurs yeux indolents, et ne faisaient que s’en approcher davantage, sans plus songer à se disperser que s’ils étaient là dans leur élément, nés comme les grillons pour se grouper autour du foyer ardent.

Le diable soit du vent ! Il ne faisait que soupirer tout à l’heure ; le voilà maintenant qui commence à rugir autour de la joyeuse forge, à faire claquer le guichet, à gronder dans la cheminée, de même que s’il avait des ordres à donner aux soufflets. C’était bien la peine de tempêter et de faire le fanfaron ! Qu’est-ce qu’il y gagnait ? Le forgeron obstiné n’en chantait que de plus belle, de sa voix enrouée, sa joyeuse chanson, et le feu n’en avait que plus d’activité et d’éclat, et la danse des étincelles n’en était que plus pétillante. À la fin, elles pétillèrent si bien dans leurs tourbillons victorieux, que le vent n’y put tenir et s’enfuit avec un hurlement ; mais en passant, il donna un si rude choc à la vieille enseigne placée devant la porte de la taverne, que le Dragon bleu fut plus que jamais terrassé et n’eut pas besoin d’attendre Noël pour tomber tout à fait de son cadre détraqué.

Quelle mesquine tyrannie, quelle pauvre vengeance pour un vent respectable, que d’aller exercer sa mauvaise humeur sur de misérables créatures telles que des feuilles tombées ; mais comme il en poussait une énorme quantité, précisément en venant de se donner une légère satisfaction aux dépens du