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paroles discrètes qu’elles approuvaient ce sage arrangement, et qu’elles sympathisaient de tout leur cœur avec celle qui en avait été l’objet.

« Ah ! dit le vieillard devenu pensif, si j’avais pu prévoir ce qui devait se passer entre nous quatre,… mais il est trop tard pour y songer. Ainsi, mes jeunes demoiselles, le cas échéant, vous la recevriez de bonne grâce et avec bienveillance ? »

Et où était, je vous prie, l’orpheline que les deux demoiselles Pecksniff n’eussent pas réchauffée dans leur sein fraternel ? Mais quand cette orpheline était recommandée à leurs soins par une personne sur laquelle leur amour comprimé depuis tant d’années venait enfin d’éclater librement, jugez des trésors inépuisables de tendresse qu’elles se sentaient pressées de répandre sur elle !

Il y eut dans la conversation un instant d’intervalle, durant lequel M. Chuzzlewit, distrait et préoccupé, tint les yeux fixés sur le sol sans prononcer une parole ; et, comme il était évident qu’il ne désirait plus être interrompu dans sa méditation, M. Pecksniff et ses filles gardèrent également un profond silence.

Dans le cours de toute la conversation précédente, le vieux gentleman avait montré une vivacité froide et calme, comme s’il eût récité péniblement un rôle appris d’avance une centaine de fois au moins. Alors même que ses paroles étaient le plus animées et son langage le plus encourageant, il avait conservé la même attitude sans la moindre modification. Mais un plus vif éclat brilla dans ses yeux, et sa voix devint plus expressive lorsqu’il reprit en sortant de sa pause recueillie :

« Vous savez ce qu’on dira de tout ceci ? Vous y avez réfléchi ?

— Ce qu’on dira, mon cher monsieur ? demanda M. Pecksniff.

— De cette entente nouvelle qui s’établit entre nous. »

M. Pecksniff prit un air de sagacité bienveillante, et en même temps il parut se mettre au-dessus de toute interprétation humaine ; car il hocha la tête et fit observer que sans nul doute on pourrait dire bien des choses à ce sujet.

« Bien des choses, répéta le vieillard. Les uns diront que je radote, vu mon âge avancé ; que c’est un ramollissement du cerveau ; que j’ai perdu toute mon énergie d’esprit et que je suis tombé en enfance. Croyez-vous pouvoir supporter ça ? »

M. Pecksniff répondit que ce serait dur à supporter, mais qu’il espérait y réussir à force de se raisonner.