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la société ; un banqueroutier frauduleux du célibat, qui spéculait sans délicatesse sur l’article des filles à marier ? Et penser qu’il avait pu désobéir et en imposer à cet excellent, à ce vénérable gentleman dont il portait le nom ; à cet affectueux et tendre guide ; à celui qui était plus qu’un père pour lui, plus qu’une mère même : quelle horreur ! quelle horreur ! Ce serait un traitement trop bénin que de le chasser avec ignominie. N’y avait-il pas autre chose à faire pour le châtier ? N’avait-il pas mérité d’encourir des peines légales ? Serait-il possible que les lois du pays fussent assez relâchées pour n’avoir pas assigné de supplice à un pareil crime ? Le monstre ! avec quelle bassesse il les avaient trompées !…

« Je m’applaudis de vous voir si chaudement dans mes intérêts, dit le vieillard, levant la main pour arrêter le torrent de leur indignation. Je ne vous dissimulerai pas que j’éprouve du plaisir à vous trouver si remplies de zèle. Mais considérons ce sujet comme épuisé.

— Non, mon cher monsieur, s’écria M. Pecksniff, tout n’est pas fini. Il faut que d’abord je purge ma maison de cette souillure.

— Cela, dit le vieillard, viendra en son temps. Je regarde la chose comme faite.

— Vous êtes trop bon, monsieur, répondit M. Pecksniff agitant sa main. Vous me comblez. Vous pouvez considérer la chose comme faite, je vous l’assure.

— Il y a, dit Martin, un autre point sur lequel j’espère que vous voudrez bien m’assister. Vous vous rappelez Mary, cousin ?

— La jeune dame dont je vous disais, mes chéries, qu’elle m’avait tant intéressé, fit observer M. Pecksniff. Excusez cette interruption, monsieur.

— Je vous ai raconté son histoire…

— Que je vous ai redite, vous vous en souvenez, mes mignonnes ! s’écria M. Pecksniff. Faibles jeunes filles, monsieur Chuzzlewit ! Elles en ont été tout émues.

— Eh bien ! voyez, reprit Martin évidemment satisfait ; je craignais d’avoir à plaider sa cause auprès de vous et à vous prier de l’accueillir favorablement pour l’amour de moi. Mais vous n’avez pas de jalousie : c’est bien ! Il est vrai que vous n’auriez aucun sujet d’en concevoir. Mary n’a rien à attendre de moi, mes chers amis, et elle le sait parfaitement. »

Les deux demoiselles Pecksniff témoignèrent par quelques