Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bien tristes et trop réelles assurément, de trouver coupable envers vous la conduite de tout le monde !

— En vérité, dit le vieillard, vous êtes très-indulgent pour moi.

— C’est que nous disions toujours, mes filles et moi, s’écria M. Pecksniff avec un redoublement de zèle obséquieux, que, si nous nous affligions de l’affreux malheur que nous avions d’être confondus avec des êtres vils et mercenaires, nous ne devions pas cependant nous en étonner. Mes chéries, vous vous en souvenez ?

— Oh ! parfaitement. Vous nous l’avez répété assez souvent.

— Nous ne nous plaignons pas, continua M. Pecksniff. Dans l’occasion nous trouvions un sujet de consolation à remarquer que la Vérité finissait par prévaloir et la Vertu par triompher, quoique ce soit assez rare. Mes amours, vous vous en souvenez ? »

Si elles s’en souvenaient ! Comment pouvait-il demander cela ? Cher p’pa, quelles questions étranges et inutiles !

« Et, reprit M. Pecksniff avec une déférence plus grande encore, quand je vous ai vu dans le petit et modeste village où nous sommes résignés à vivre, j’ai dit, mon cher monsieur, que vous vous trompiez à mon égard ; je n’ai rien dit de plus, je crois ?

— Non. Ce n’est pas tout, répondit Martin qui avait pendant quelque temps appuyé la main sur son front, et qui maintenant leva les yeux. Vous avez dit beaucoup plus ; et c’est ce que vous avez dit, joint aux circonstances qui sont parvenues à ma connaissance, qui m’a ouvert les yeux. Vous m’avez parlé avec désintéressement en faveur de… Je n’ai pas besoin de le nommer. Vous savez qui je veux désigner. »

M. Pecksniff laissa paraître sur son visage une certaine émotion, tandis qu’il joignait ses mains moites de sueur et répondait d’un ton humble :

« C’était tout à fait désintéressé, monsieur, je vous le certifie.

— Je le sais, dit tranquillement le vieux Martin. J’en suis sûr. C’est ce que je vous disais. C’est aussi par pur désintéressement que vous m’avez délivré de cette bande de harpies, dont vous avez été vous-même la victime. Bien d’autres hommes leur eussent permis de déployer toute leur rapacité et se fussent efforcés de grandir, par le contraste, dans mon