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caprice. D’ailleurs, je ne suis pas capricieux. Je ne l’ai jamais été.

— Assurément, non, dit Pecksniff.

— Comment le savez-vous ? répliqua vivement l’autre. C’est maintenant que vous allez commencer à le savoir. Vous êtes destiné à l’attester et à le prouver dans l’avenir. Vous et les vôtres, il faut vous apprendre que je suis persévérant et que je ne me laisse pas détourner de mon but. Entendez-vous ?

— Parfaitement.

— Je regrette beaucoup, reprit Martin le regardant en face et lui parlant d’un ton lent et mesuré, je regrette beaucoup que vous et moi ayons eu, dans notre dernière rencontre, la conversation que nous avons eue. Je regrette beaucoup de vous avoir laissé voir si ouvertement ce que je pensais de vous. Les intentions que j’ai maintenant à votre égard sont toutes différentes. Abandonné de tous ceux en qui j’avais mis ma confiance, trompé et obsédé par tous ceux qui eussent dû m’aider et me soutenir, je viens chercher un refuge auprès de vous. J’ai la confiance que vous serez mon allié et que je vous attacherai à moi par les liens de l’Intérêt et de l’Espérance (il appuya fortement sur ces derniers mots, quoique M. Pecksniff le priât tout particulièrement de ne point les prononcer), et que vous m’aiderez à faire payer à qui de droit les conséquences de la plus odieuse espèce de bassesse, de dissimulation et d’artifice.

— Mon noble monsieur ! s’écria M. Pecksniff, lui saisissant la main qui était toute grande ouverte : et c’est vous qui m’exprimez le regret d’avoir accueilli d’injustes idées sur mon compte ! vous, avec ces respectables cheveux gris !…

— Les regrets, dit Martin, sont le propre des cheveux gris ; et je me félicite d’avoir au moins en commun avec tous les autres hommes ma part de cet héritage. Mais en voilà assez. Je suis fâché d’avoir été si longtemps séparé de vous. Si je vous avais traité plus tôt comme vous méritez de l’être, peut-être eussé-je été plus heureux. »

M. Pecksniff leva les yeux au plafond et se frotta les mains de joie.

« Vos filles… dit Martin, après un court silence ; je ne les connais pas. Vous ressemblent-elles ?

— Monsieur Chuzzlewit, répondit le veuf, l’auteur de leurs jours (je ne veux pas parler de moi, mais bien de leur sainte