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l’approche de l’hiver, donnaient du charme au paysage, dont en ce moment ils rendaient les traits plus agréables sans y jeter encore un air de mélancolie. Les feuilles tombées, qui jonchaient le sol, répandaient une douce senteur, et, amortissant le bruit sonore des pas lointains et des roues, créaient un calme en parfaite harmonie avec le mouvement du laboureur éloigné qui semait çà et là le grain, et avec la marche de la charrue qui retournait sans bruit la riche terre brune, traçant un gracieux sillon dans les chaumes. Sur les branches immobiles de quelques arbres, des baies d’automne pendaient comme les grains d’un collier de corail dans ces vergers fabuleux où les fruits étaient des pierres précieuses ; d’autres arbres, dépouillés de toute leur garniture, étaient restés comme le centre d’un petit bouquet de belles feuilles rouges, en attendant le sort commun ; d’autres encore avaient conservé tout leur feuillage, mais crispé et fendillé comme s’il avait été desséché par le feu, montrant autour de leurs troncs, empilées en tas purpurins, les pommes qu’ils avaient portées cette année même ; pendant que d’autres, malgré leur retardataire verdure, se montraient ternes et tristes dans leur vigueur même, comme si la nature voulait enseigner par eux que ce n’est pas à ses favoris les plus actifs et les plus joyeux qu’elle accorde le plus long terme d’existence. Cependant, à travers leurs touffes plus sombres, les rayons du soleil traçaient de larges sillons d’or ; et la lumière rouge, tamisant les branches au ton brun, s’en servait comme d’un contraste pour y faire passer son éclat et compléter ainsi la magnificence du jour mourant.

Un moment suffit pour faire évanouir toute cette splendeur. Le soleil se coucha au sein des longues lignes grisâtres de collines et de nuages entassés à l’horizon, qui formaient à l’ouest une cité aérienne, murailles sur murailles, bâtiments sur bâtiments ; la lumière s’effaça entièrement ; l’église, tout à l’heure brillante, devint froide et noire ; le courant d’eau oublia de sourire et de murmurer ; les oiseaux devinrent silencieux ; et la tristesse de l’hiver reprit partout son règne.

Le vent du soir se leva à son tour ; les petites branches craquèrent en s’agitant dans leurs danses de squelette, au bruit de sa musique lugubre. Les feuilles desséchées, cessant de rester immobiles, coururent çà et là comme pour chercher un abri contre cette froide bise ; le laboureur détela ses chevaux, et, la tête baissée, les poussa vivement devant lui pour les