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portait le son des cloches, il gagna d’un pas rapide la maison et frappa à la porte.

M. Pecksniff était assis dans le petit salon de Mme Todgers. Son visiteur le trouva occupé à lire par pur hasard, et il lui en fit ses excuses, un excellent ouvrage de théologie. Sur une table étroite il y avait du gâteau et du vin, par un autre hasard dont il s’excusa également.

« J’avais oublié, dit-il, la visite que je devais recevoir, et j’allais partager cette modeste collation avec mes filles quand vous avez frappé à la porte.

— Vos filles vont bien ? » demanda Martin, posant de côté son chapeau et sa canne.

M. Pecksniff s’efforça de cacher son émotion comme père, lorsqu’il répondit :

« Oui, elles vont bien. Ce sont de bonnes petites filles, d’excellentes petites filles. Je ne me permettrais pas, dit-il, de proposer à M. Chuzzlewit de prendre un fauteuil ni de lui recommander d’éviter le vent coulis de la porte. Je n’ai pas envie de m’exposer aux plus injustes soupçons. En conséquence, je me bornerai à faire observer qu’il y a dans la chambre un fauteuil, et que la porte est loin d’être parfaitement close. J’oserai seulement peut-être ajouter qu’il n’est pas rare de rencontrer ce dernier inconvénient dans les maisons anciennes. »

Le vieillard s’assit dans le fauteuil, et, après quelques instants de silence :

« En premier lieu, dit-il, j’ai à vous remercier d’être venu à Londres avec tant d’empressement sur ma requête non motivée ; je n’ai pas besoin d’ajouter : et à mes frais.

— À vos frais, mon bon monsieur ! s’écria M. Pecksniff, avec un accent de grande surprise.

— Je n’ai pas l’habitude, dit Martin en agitant sa main avec impatience, de faire des dépenses à… Eh bien ! à mes parents, pour satisfaire mes caprices.

— Des caprices, mon bon monsieur ! s’écria M. Pecksniff.

— Ce n’est pas tout à fait le mot qui convient en cette occasion, dit le vieillard. Non, vous avez raison. »

Intérieurement, M. Pecksniff se sentit soulagé en entendant ces paroles, bien qu’il ne sût pas du tout pourquoi.

« Vous avez raison, répéta Martin. Ce n’est point un caprice. C’est une chose fondée sur la raison, la vérité, la réflexion. C’est, comme vous voyez, tout le contraire d’un