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CHAPITRE X.

Contenant d’étranges choses qui exerceront une grande influence, en bien ou en mal, sur la plupart des événements de cette histoire.


Cependant M. Pecksniff était venu à Londres pour affaire. Avait-il oublié le but de son voyage ? Continuait-il de prendre du plaisir avec la joyeuse engeance de la pension Todgers, sans songer aux graves intérêts, quels qu’ils fussent, qui exigeaient sa calme et sérieuse méditation ? Non.

« Le temps et la marée n’attendent personne, » dit le proverbe. Mais tous les hommes ont à attendre le temps et la marée. Cette marée, qui avec son flux devait conduire Seth Pecksniff à la fortune, était marquée d’avance sur le tableau et au moment de monter. Pecksniff ne restait pas tranquillement au haut de la plage sans se soucier le moins du monde des changements de courants ; mais il se tenait sur l’extrême bord, le digne homme, voyant l’eau passer déjà par-dessus ses souliers et tout prêt à se vautrer dans la vase, si c’était le chemin qui devait le conduire au but de ses espérances.

La confiance qu’il inspirait à ses deux charmantes filles était vraiment admirable. Elles croyaient si fermement au caractère de leur père, qu’elles étaient certaines qu’en tout ce qu’il faisait il avait devant lui un dessein bien conçu, bien arrêté. Elles savaient aussi que ce noble objet était pour Pecksniff son intérêt personnel, ce qui naturellement les intéressait par contre-coup.

Ce qui rendait cette confiance filiale plus touchante encore, c’est que les demoiselles Pecksniff ne se doutaient pas, quant à présent, des projets réels de leur père. Tout ce qu’elles savaient de lui, c’est que chaque matin, de bonne heure, après le déjeuner, il se rendait au bureau de poste pour y chercher des lettres. Ce soin rempli, sa tâche du jour était achevée ; et il rentrait dans le repos jusqu’à ce que le retour du soleil amenât, le lendemain, une poste nouvelle.

Même manège pendant quatre ou cinq jours. Enfin, un matin, M. Pecksniff revint à son domicile tout hors d’haleine et avec une précipitation curieuse chez un homme d’ordinaire