Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à ses amis. Un gentleman que sa vocation poussait vers le théâtre, et qui eût obtenu un début autrefois, n’était la méchanceté de la nature humaine qui avait mis des bâtons dans les roues. Un gentleman orateur, qui était fort sur les speach. Un gentleman qui se piquait de littérature ; il écrivait entre autres choses des satires personnelles et connaissait le côté faible de chaque caractère, excepté le sien. Un dilettante… Un fumeur… Un gastronome… Plusieurs joueurs de whist… Pas mal de joueurs de billard et d’amateurs de paris, tous, à ce qu’il paraît, doués d’un certain goût pour le commerce, car ils étaient de manière ou d’autre lancés dans le mouvement commercial ; ce qui ne les empêchait pas d’avoir, avec cela, des goûts prononcés pour le plaisir. M. Jinkins avait les allures d’un fashionable ; il fréquentait régulièrement les parcs le dimanche, et connaissait de vue un grand nombre d’équipages. Il parlait aussi mystérieusement de femmes magnifiques, et on le soupçonnait de s’être compromis avec une comtesse. M. Gander avait un tour d’esprit ingénieux : c’est lui qui avait inventé la plaisanterie de « Col-Haut, » plaisanterie qui avait obtenu le plus grand succès et qui, passant de bouche en bouche sous le nom de : « la dernière de Gander, » circulait dans toute la chambre avec de grands applaudissements. Nous devons ajouter que M. Jinkins était de beaucoup le plus âgé de la compagnie. Il avait quarante ans et tenait les livres d’un marchand de poissons. C’était aussi le plus ancien pensionnaire ; et, en vertu de son double droit d’aînesse, c’était lui qui menait la maison, comme l’avait dit Mme Todgers.

Le dîner se fit considérablement attendre. La pauvre Mme Todgers, réprimandée en confidence par M. Jinkins, ne faisait qu’aller et venir pour voir ce qui causait ce retard ; elle recommença plus de vingt fois le même manège, revenant sans cesse sur ses pas sans savoir pourquoi, avant même d’être sortie. Cependant la conversation générale n’en souffrait pas : car un gentleman, voyageur pour la parfumerie, avait exhibé une intéressante babiole, espèce de savonnette qu’il rapportait d’une récente tournée en Allemagne ; et, de son côté, le gentleman littéraire récitait, sur la demande générale, quelques strophes satiriques qu’il venait de composer contre le réservoir situé derrière la maison, qui s’était permis de geler dans les derniers froids. Ces divertissements, avec la conversation mêlée qui en était la suite naturelle, firent pas-