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Miss Mercy, grâce à son caractère plus enjoué, sut mieux prendre son parti de ce désappointement et, en apparence du moins, elle rejeta toute impression fâcheuse en riant du bout des dents ; mais sa sœur, sans se mettre en peine de cacher son dédain, le traduisit ouvertement par ses regards. Quant à Mme Todgers, qui donnait le bras à M. Pecksniff, elle avait composé sur ses traits une sorte de grimace aimable, convenable à toute disposition d’esprit, et ne trahissant aucune ombre d’opinion.

« Ne vous troublez pas, miss Pinch, dit M. Pecksniff prenant dans l’une de ses mains, avec une certaine condescendance, celle de la jeune fille qu’il caressait de l’autre. Je viens vous voir pour tenir une promesse que j’ai faite à votre frère Thomas Pinch ; je m’appelle Pecksniff. »

L’homme vertueux avait prononcé ces paroles d’un ton solennel, comme s’il eût dit : « Jeune fille, vous voyez en moi le bienfaiteur de votre famille, le patron de votre maison, le sauveur de votre frère, qui chaque jour est nourri de la manne tombée de ma table. En conséquence, il y a dans les livres du ciel un compte courant considérable en ma faveur ; mais je n’ai pas d’orgueil, car je puis m’en passer. »

La pauvre jeune fille croyait à cela comme aux vérités de l’Évangile. Bien souvent, son frère, écrivant dans la plénitude de son cœur simple et candide, lui avait dit tout cela et mieux encore. Au moment où M. Pecksniff cessa de parler, elle pencha la tête et versa une larme sur la main du visiteur.

« Oh ! très-bien, miss Pinch ! pensa l’élève rusée ; vous pleurez devant les étrangers, comme si vous n’étiez pas contente de votre situation !

— Thomas se porte bien, dit M. Pecksniff, et vous envoie toutes ses amitiés avec cette lettre. Je n’oserais affirmer que le pauvre garçon se distingue jamais dans notre profession ; mais il a le désir de bien faire, c’est tout ce qu’on peut lui demander : c’est pourquoi nous devons patienter à son égard, comme de juste.

— Je sais qu’il a bonne volonté, monsieur, dit la sœur de Tom Pinch, et je sais aussi l’affection et les égards que vous lui témoignez pour cette raison. Aussi, ni lui ni moi ne pouvons-nous vous être assez reconnaissants, comme nous nous le répétons souvent dans nos lettres. »

Elle ajouta, en regardant gracieusement les deux sœurs :