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C’est ce que dirent aussi les deux demoiselles Pecksniff, quand elles quittèrent avec Mme Todgers ce poste d’observation, laissant le jeune concierge fermer la porte derrière elles et les suivre sur l’escalier. Celui-ci, vu son goût pour le jeu, et le plaisir particulier à son sexe et à son âge de s’exposer à se briser en mille morceaux, était resté en arrière, occupé à se promener sur le rebord de la terrasse.

Dès la seconde journée de leur résidence à Londres, les demoiselles Pecksniff et Mme Todgers s’étaient mises sur un pied de grande intimité ; tellement que cette dernière dame leur avait déjà confié les détails de trois tendres déceptions éprouvées par elle au temps de sa jeunesse ; en outre, elle avait communiqué à ses jeunes amies un sommaire général de la vie, de la conduite et du caractère de M. Todgers, qui, à ce qu’il paraît, s’était brusquement soustrait à leurs projets d’avenir matrimonial en se dérobant traîtreusement à son propre bonheur pour aller s’établir en garçon loin d’elle.

« Votre papa avait jadis pour moi des attentions marquées, mes chères amies, dit Mme Todgers ; mais c’eût été trop de félicité pour moi d’être votre maman, et cette félicité m’a été refusée. Vous auriez peut-être bien de la peine à reconnaître pour qui ceci a été fait ? »

En parlant ainsi, elle appela leur attention sur une miniature ovale, semblable à un petit vésicatoire, et qui était accrochée au-dessus du porte-bouilloire. On y voyait sa figure dans le nuage vaporeux d’un rêve.

« La ressemblance est frappante ! s’écrièrent les demoiselles Pecksniff.

– C’est ce qu’on trouvait autrefois, dit Mme Todgers, se chauffant au feu d’une manière tout à fait masculine ; mais je n’aurais pas cru que vous m’eussiez reconnue, mes amours. »

Oh ! certainement, elles l’eussent reconnue partout, à ce qu’elles dirent. Si elles avaient aperçu ce portrait dans la rue, ou à la montre d’une boutique, elles n’eussent pas manqué de s’écrier : « Dieu du ciel ! mistress Todgers !… »

« La direction d’un établissement tel que celui-ci, dit Mme Todgers, fait bien des ravages dans les traits. Rien que le jus de viande suffit pour vous vieillir de vingt ans, je vous l’assure.

— Grand Dieu !… s’écrièrent les deux demoiselles Pecksniff.

— L’anxiété que cause cet ingrédient, mes chères amies,