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— Ce ne sont pas là vos filles !… s’écria à son tour la dame levant ses mains dans sa surprise et les croisant après. Oh ! non, monsieur Pecksniff ; c’est votre seconde femme avec sa femme de chambre. »

M. Pecksniff sourit avec complaisance, secoua la tête et dit :

« Ce sont mes filles, mistress Todgers ; ce sont purement et simplement mes filles.

— Ah ! soupira la bonne dame, je dois vous croire : car, maintenant que je les regarde, il me semble que je les eusse reconnues n’importe où. Mes chères demoiselles Pecksniff, vous ne savez pas tout le plaisir que j’ai à revoir votre papa ! »

Elle les étreignit toutes les deux ; et soit l’émotion, soit l’effet de l’inclémence de la saison, Mme Todgers sentit le besoin de tirer de son petit panier un mouchoir de poche qu’elle porta à son visage.

« Maintenant, ma bonne dame, dit M. Pecksniff, je connais les règles de votre établissement, et je sais que vous ne recevez pour locataires que des gentlemen. Mais j’ai pensé, quand je suis parti de chez moi, que peut-être vous voudriez bien donner à mes filles l’hospitalité et faire une exception en leur faveur.

— Peut-être, dit Mme Todgers toujours en extase, peut-être bien…

— Franchement, j’étais sûr que vous y consentiriez, dit M. Pecksniff. Je sais que vous avez une petite chambre où elles pourraient être commodément, sans paraître à la table générale.

— Ces chères enfants !… dit Mme Todgers. Permettez que je les embrasse encore. »

Mme Todgers ne paraissait occupée que du plaisir d’embrasser encore ces chères demoiselles, ce qu’elle fit avec de nouvelles démonstrations de tendresse. Mais la vérité est que le maison étant entièrement remplie, sauf un lit à l’usage de M. Pecksniff, la brave dame avait besoin de se donner un peu de temps pour réfléchir : c’était une question épineuse. Après avoir embrassé les deux sœurs, elle s’arrêta un moment à les contempler : dans un de ses yeux brillait l’affection, et dans l’autre rayonnait le calcul. Enfin elle s’écria :

« Je crois pouvoir arranger l’affaire. Un lit canapé dans la troisième petite chambre qui ouvre sur mon parloir particulier. Oh ! mes chères demoiselles !… »

Là-dessus elle les embrassa de nouveau, en faisant observer