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L’escalier était très-sombre et très-large ; les balustrades en étaient si épaisses et si lourdes, qu’elles eussent pu servir pour soutenir un pont. Dans un coin ténébreux du premier palier il y avait une horloge gigantesque, sans forme connue, couronnée de trois boules de cuivre, on ne savait pourquoi ; presque personne ne l’avait jamais aperçue, au moins personne ne la regardait jamais ; elle ne semblait occupée de continuer son bruyant tic tac que pour mettre en garde les écervelés qui fussent venus s’y cogner accidentellement. De mémoire d’homme, cet escalier de la maison Todgers n’avait jamais reçu ni papier ni peinture. Il était noir, triste et humide. Tout en haut se trouvait un châssis vitré, vieux, délabré, détraqué, hideux, raccommodé et rapiécé, qui regardait d’un air sinistre ce qui allait et venait au-dessous de lui, et couvrait l’escalier de la maison Todgers comme un sorte de bocal à cornichons de nature humaine, pour conserver l’espèce toute particulière d’habitués qui grouillaient là-dedans.

Il n’y avait pas dix minutes que M. Pecksniff et ses charmantes filles se chauffaient devant le feu, quand on entendit sur l’escalier un bruit de pas. La divinité qui présidait à l’établissement entra en toute hâte.

Mme Todgers était une dame passablement osseuse et anguleuse, qui portait sur le devant de la tête une rangée de boucles en forme de petits barils de bière, et tout à fait en haut une espèce de réseau : était-ce un bonnet ? pas précisément ; c’était plutôt une toile d’araignée. À son bras pendait un petit panier, et dans ce panier se trouvait un trousseau de clefs qui se heurtaient l’une contre l’autre avec les pas cadencés de la dame. De l’autre main, elle portait une chandelle allumée dont elle se servit pour regarder un instant M. Pecksniff, et qu’elle posa ensuite sur la table, afin de le recevoir avec une plus grande cordialité.

« Monsieur Pecksniff !… s’écria-t-elle. Soyez le bienvenu à Londres ! Qui se serait attendu à une visite semblable après tant… mon Dieu ! mon Dieu !… tant d’années ? Comment vous portez-vous, monsieur Pecksniff ?

– Toujours de même, comme vous voyez ; et, comme toujours, enchanté de vous voir. En vérité, vous êtes rajeunie !

– C’est vous qui l’êtes plutôt, dit Mme Todgers. Vous n’êtes pas du tout changé.

– Qu’est-ce que vous dites là ? s’écria M. Pecksniff, étendant la main vers les jeunes filles. Est-ce que ceci ne me vieillit pas ?