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— Elle est si rieuse… dit M. Jonas. Il n’y a pas moyen de causer avec elle. Tenez ! la voilà qui recommence ! Il n’y a que vous de raisonnable, cousine.

— Taisez-vous donc ! s’écria Charity.

— Oh ! certainement vous l’êtes ! Vous savez bien que vous l’êtes.

— Mercy est une petite étourdie. Mais cela se calmera avec le temps.

— Il en faudra joliment du temps pour la calmer. Mais prenez donc un peu plus de place.

— J’ai peur de vous gêner, » dit Charity.

Elle ne s’en mit pas moins à l’aise ; et, après une ou deux remarques sur l’extrême lenteur de la diligence et les nombreuses haltes qu’elle se permettait, tous tombèrent dans un silence qui ne fut plus interrompu qu’au moment du souper.

Bien que M. Jonas eût offert son bras à miss Charity pour la conduire à l’hôtel où l’on descendit, et bien qu’il se fût assis près d’elle à table, il était très-clair qu’il avait l’œil ouvert sur l’autre : car il regardait très-souvent du côté de miss Mercy, et semblait établir sur les charmes extérieurs des deux sœurs une comparaison qui n’était pas au désavantage de l’embonpoint supérieur de la cadette. Cependant ce genre d’observation ne lui fit pas perdre un coup de dent, et il travaillait activement le souper, disant tout bas à l’oreille de sa voisine que, le repas étant à prix fixe, plus elle mangerait, plus grand serait le profit. Son père ainsi que M. Pecksniff, sans doute d’après ce même principe incontestable, démolissaient tout ce qui se trouvait à leur portée, et finirent par se donner une face rubiconde, un air de satisfaction ou de congestion pléthorique tout à fait agréable à voir.

Lorsqu’ils n’eurent plus rien à manger, M. Pecksniff et M. Jonas demandèrent, pour dix sous chacun, du punch bien chaud. Ce dernier gentleman estima qu’il valait mieux le commander sous cette forme qu’en un seul bol d’un schelling, parce qu’il y avait chance que l’aubergiste mît de cette manière plus d’eau-de-vie dans deux verres séparés. Après avoir dégusté ce fluide vivifiant, M. Pecksniff, sous prétexte d’aller voir si la diligence était prête à partir, se rendit secrètement à l’office, où il fit remplir sa petite bouteille particulière, afin de pouvoir, à loisir et sans être observé, se rafraîchir dans les ténèbres de la diligence.