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fut tellement dominée par sa folle humeur, qu’elle dut chercher à dissimuler un éclat de rire en cachant son visage contre le châle de sa sœur.

« Mercy ! s’écria cette duègne prudente, en vérité vous me rendez honteuse. Comment pouvez-vous vous comporter ainsi ? Quelle tenue ! »

Cette mercuriale n’eut d’autre effet que de provoquer chez Mercy un rire encore plus bruyant.

« J’avais déjà remarqué l’autre jour dans ses regards quelque chose de fantasque, dit M. Jonas s’adressant à miss Charity. Ce n’est pas comme vous, cousine, qui êtes un modèle de gravité, une vraie précieuse, enfin !

— Oh ! l’horreur ! est-il rococo !… murmura Mercy. Tenez, ma parole, il faut, ma Cherry, que vous veniez vous asseoir à ma place, auprès de lui. Je vais mourir de rire, bien sûr, s’il me reparle encore, c’est positif ! »

Pour prévenir cette funeste conséquence, la maligne chouette s’élança hors de sa place, et poussa sa sœur à l’endroit qu’elle venait de quitter.

« N’ayez pas peur de me serrer, dit M. Jonas. J’aime à être serré par les jeunes filles. Rapprochez-vous encore, cousine.

— Non, je vous remercie, monsieur, dit Charity.

— Bon, voilà l’autre qui rit de nouveau, dit M. Jonas ; c’est sans doute de mon père qu’elle rit, cela ne m’étonnerait pas. S’il vient à mettre sur sa tête son vieux bonnet de flanelle, je ne sais pas ce qu’elle est capable de faire ! Est-ce que mon père ronfle, Pecksniff ?

— Oui, monsieur Jonas.

— Voulez-vous avoir la bonté de lui marcher sur le pied ? dit le jeune gentleman ; le pied qui est de votre côté, c’est celui qui a la goutte. »

M. Pecksniff hésitait à lui rendre ce service d’ami. M. Jonas s’en acquitta lui-même tout en criant :

« Allons, mon père, éveillez-vous ; sinon, vous allez avoir le cauchemar et jeter des cris de mélusine. Avez-vous quelquefois le cauchemar, cousine ? demanda-t-il à sa voisine à voix basse et avec une galanterie caractéristique.

— Quelquefois, répondit Charity. Pas souvent.

— Et l’autre… dit M. Jonas, après une pause, a-t-elle aussi jamais eu le cauchemar ?

— Je l’ignore, répondit Charity. Vous pouvez le lui demander à elle-même.