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vait que j’avais affaire à un parent !… Monsieur Anthony Chuzzlewit et son fils Jonas (je vous présente mes chères filles), nos compagnons de voyage, voudront bien excuser ce que mon observation a pu avoir de brusque en apparence. Ce n’est pas moi qui voudrais heurter les sentiments des personnes auxquelles je suis uni par des liens de famille. Je puis être un hypocrite, ajouta M. Pecksniff avec intention, mais je ne suis pas une brute.

— Pouh ! pouh ! dit le vieillard. Que signifie ce mot, Pecksniff ? Hypocrite ! mais nous sommes tous des hypocrites. L’autre jour, nous l’étions tous. Je vous assure que je croyais que nous étions tous d’accord là-dessus ; sans cela je ne vous eusse pas appelé ainsi. Nous ne nous fussions pas du tout réunis, si nous n’avions pas été des hypocrites. La seule différence qu’il y eût entre vous et les autres, c’était… Puis-je vous dire quelle différence il y avait entre vous, Pecksniff, et les autres ?

— Oui, s’il vous plaît, mon bon monsieur, s’il vous plaît.

— Eh bien ! dit le vieillard, ce qu’il y a de terrible chez vous, c’est que jamais vous n’avez d’associé ni de compère ; c’est que vous êtes homme à tromper tout le monde, ceux-là même qui tiennent le même jeu que vous, et qui croient en vous comme si, hé ! hé ! hé, comme si vous croyiez en vous-même. Je parierais gros, si je risquais des paris, ce que je n’ai jamais fait ni ne ferai jamais, que vous savez par un calcul secret conserver les apparences, même devant vos filles que voici. Quant à moi, sitôt que j’ai quelque chose sur le cœur, je m’en explique tout de suite avec Jonas, et nous discutons ouvertement. Vous n’êtes pas fâché, Pecksniff ?

— Fâché, mon bon monsieur ! s’écria ce gentleman, comme s’il eût été l’objet, au contraire, des compliments les plus flatteurs.

— Est-ce que vous allez à Londres, monsieur Pecksniff ? demanda le fils.

— Oui, monsieur Jonas, nous allons à Londres. Nous aurons, tout le temps du voyage, le plaisir de faire route avec vous, je pense ?

— Oh ! ma foi ! adressez cette question à mon père, je n’ai pas envie de me compromettre. »

Cette réponse divertit extrêmement M. Pecksniff. Après cet accès d’hilarité, Jonas lui donna à entendre qu’en effet son père et lui se rendaient à leur demeure dans la capitale ; que,