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nœuvrait par de petites ruades, et imprimait dans l’ombre à ses souliers certaines évolutions, quand la voiture s’arrêta. Au bout d’un instant, la portière fut ouverte.

« Ah çà ! faites bien attention, dit au sein de l’obscurité une voix aiguë. Mon fils et moi nous montons à l’intérieur, parce que l’impériale est pleine, mais à la condition que nous ne payerons qu’au prix des places d’extérieur. Il est bien entendu, n’est-ce pas, que nous ne payerons pas davantage ?

— C’est très-bien, monsieur, répondit le conducteur.

— Y a-t-il quelqu’un à l’intérieur ? demanda la voix.

— Trois voyageurs, répondit le conducteur.

— Alors je prie ces trois voyageurs d’être assez bons pour attester au besoin cette convention. Mon fils, je crois que nous pouvons monter sans crainte. »

Bien rassurées à cet égard, les deux personnes prirent place dans le véhicule, qui, par acte solennel du Parlement, avait privilège de contenir, au nombre de six, les gens qui se présentaient à la portière.

« Nous avons de la chance !… murmura le vieillard, quand la voiture se fut remise en mouvement, et c’est une bonne leçon d’économie pratique. Hé ! hé ! hé ! Nous n’eussions pas pu monter sur cette impériale ; j’y serais mort de mon rhumatisme ! »

Soit que l’excellent fils éprouvât une vive satisfaction d’avoir, jusqu’à un certain point, contribué à prolonger les jours de son père, soit que lui-même il subit l’influence du froid, il est certain qu’il donna à l’auteur de ses jours un si rude choc en guise de réponse, que ce bon vieux gentleman fut pris d’une quinte de toux qui dura cinq minutes au moins sans rémission. M. Pecksniff exalté finit par en perdre patience et s’écrier tout à coup :

« On ne vient pas ici… vraiment, on ne doit pas se permettre de venir ici avec un rhume de cerveau !

— Mon rhume, dit le vieillard, après un court intervalle de silence, est un rhume de poitrine, Pecksniff. »

La voix et le ton du vieillard en parlant ainsi, son flegme, la présence de son fils, l’air qu’il avait de connaître Pecksniff, tout se réunissait pour donner le fil certain de son identité. Il était impossible de s’y tromper.

« Hem ! fit M. Pecksniff, qui ressaisit aussitôt sa douceur habituelle. Je croyais m’adresser à un étranger, et il se trou-