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quant tout près de l’oreille de M. Pinch, je suis venu pour la lettre.

— Pour la lettre ? répéta tout haut M. Pinch ; quelle lettre ? »

Ce fut avec la même précaution que Tigg lui glissa cette réponse :

« La lettre que mon ami Pecksniff a écrite pour Chevy Slyme, esquire, et qu’il vous a laissée.

— Il ne m’a pas laissé de lettre, dit Tom.

— Motus ! s’écria l’autre. C’est absolument la même chose, bien que mon ami Pecksniff n’ait pas agi aussi délicatement que je l’eusse désiré. Je viens pour l’argent.

— L’argent ! … fit Tom épouvanté.

— Précisément, » dit M. Tigg.

Il toucha deux ou trois fois Tom à la poitrine, en lui adressant plusieurs signes d’intelligence, comme s’il voulait dire : « Nous nous entendons parfaitement l’un l’autre ; il est inutile de divulguer cette circonstance devant un tiers ; et je considérerai comme une marque d’obligeance particulière la complaisance qu’aura M. Pinch de me glisser sans bruit cette somme dans la main. »

Cependant M. Pinch, stupéfait devant cette démarche inexplicable, pour lui du moins, déclara aussitôt et ouvertement qu’il devait y avoir quelque méprise ; qu’il n’avait reçu aucune commission qui eût le moins du monde rapport à M. Tigg ou à son ami.

M. Tigg, ayant entendu cette déclaration, pria gravement M. Pinch d’avoir l’extrême bonté de la répéter ; et, à mesure que Tom la reproduisait en termes plus explicites encore, de manière à ne pouvoir laisser subsister de doute, il secouait solennellement la tête après chaque parole. La seconde déclaration étant bien et dûment achevée, M. Tigg s’assit sans façon sur une chaise, et adressa aux deux jeunes gens l’allocution suivante :

« Alors, mes gentlemen, je vous dirai ce qui en est. Il y a en ce moment, dans ce pays même, un astre admirable de talent et de génie, qui, par suite de ce que je ne puis désigner autrement que comme la coupable négligence de mon ami Pecksniff, est plongé dans une situation si terrible que la civilisation du XIXe siècle permet à peine de le croire. Il y a aujourd’hui, en ce moment, dans ce village, au Dragon bleu, remarquez bien, une auberge, une méchante, une vile auberge, une auberge toute boueuse, empestée de fumée de