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M. Pinch regardait d’un air pensif la grille du foyer. Mais son compagnon s’étant arrêté en ce moment, il tressaillit. « Oh ! naturellement, » dit-il ; et il se mit en devoir d’écouter de nouveau.

« En un mot, reprit Martin, j’ai été nourri, élevé, depuis que j’existe, par le grand-père dont je viens de vous parler. Certes, il a nombre de bonnes qualités, ceci ne fait pas l’objet d’un doute, je ne vous le cacherai pas ; mais il a deux grands défauts, et c’est là son mauvais côté. En premier lieu, il a le plus terrible entêtement qu’on ait jamais observé chez aucune créature humaine ; en second lieu, il est abominablement égoïste.

— Vrai ?… s’écria Tom.

— Sous ce double rapport, reprit l’autre, il n’a pas son pareil. J’ai souvent entendu dire par des gens bien informés que ces défauts avaient, depuis un temps immémorial, caractérisé notre famille, et je crois fermement que cette allégation n’est pas dépourvue de vraisemblance. Mais je ne puis rien en dire par moi-même. Tout ce que je puis faire, c’est d’être très-reconnaissant envers Dieu de ce que ces défauts de famille ne sont pas venus jusqu’à moi, et de ce que j’ai pu, par de soigneux efforts, n’en point contracter le germe.

— C’est sûr, dit M. Pinch. C’est très-juste.

— Eh bien, monsieur, continua Martin, donnant au feu une nouvelle activité, et rapprochant plus que jamais son siège du foyer, son égoïsme le rend exigeant, et son entêtement le fait persister dans ses exigences. En conséquence, il a toujours réclamé, de ma part beaucoup de respect, de soumission, d’abnégation, quand ses désirs étaient en jeu. J’ai supporté bien des choses, parce que j’étais son obligé, si l’on peut dire qu’on soit l’obligé de son grand-père, et parce qu’en réalité j’avais de l’attachement pour lui ; mais nous avons eu bien des querelles à cet égard, car souvent je ne pouvais m’accommoder de ses manières ; ce n’était pas du tout pour moi, vous comprenez, mais… »

Ici il hésita et parut embarrassé.

M. Pinch était bien l’homme du monde le moins capable de résoudre une difficulté de cette sorte. Aussi garda-t-il le silence.

« Vous devez me comprendre ! dit vivement Martin. Je n’ai plus besoin de poursuivre l’expression propre qui me manque. Maintenant, j’arrive au fond de l’histoire et à la circonstance qui m’a fait venir ici. J’aime, Pinch. »