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— « À la bonne heure ! dit Tom avec un geste d’approbation. À la bonne heure ! un peu de gaieté ! à merveille ! »

Cette adhésion provoqua chez Martin un nouvel accès d’hilarité. Dès qu’il eut repris haleine et recouvré son sang-froid :

« Jamais, dit-il, je n’ai vu votre pareil, Pinch.

— En vérité ? dit Tom. Sans doute vous me trouvez bizarre, parce que je ne connais pas du tout le monde ; ce n’est pas comme vous, qui l’avez beaucoup pratiqué, j’en suis sûr.

— Pas mal pour mon âge, répliqua Martin, qui rapprocha plus encore sa chaise du foyer et posa ses pieds à cheval sur le garde-feu. Tenez ! le diable m’emporte, il faut que je parle ouvertement à quelqu’un. Je vais vous parler en toute franchise, Pinch.

— Faites ! dit Tom. De votre part, je considérerai cela comme une grande preuve d’amitié.

— Je ne vous incommode pas ? demanda Martin, tournant un regard vers M. Pinch, qui, en ce moment, cherchait à apercevoir le feu par-dessus la jambe de son compagnon.

— Nullement, s’écria Tom.

— Vous saurez donc, pour abréger ma longue histoire, dit Martin, commençant avec une sorte d’effort, comme si cette révélation lui était pénible, que, depuis mon enfance, j’ai été nourri dans l’espérance d’une belle position, et qu’on m’a toujours bercé de l’idée que, dans l’avenir, je serais très-riche. Je n’eusse pas manqué de le devenir, sans certaines petites causes que je vais vous soumettre et qui m’ont conduit à être déshérité.

— Par votre père ?… demanda M. Pinch, ouvrant de grands yeux.

— Par mon grand-père. Depuis bien des années j’ai perdu mes parents ; à peine si je me souviens d’eux.

— Jamais je n’ai connu les miens, dit Tom, touchant la main du jeune homme, et retirant aussitôt sa main par une discrétion timide. Ô mon Dieu !

— Quant à cela, Pinch, poursuivit Martin, activant le feu et parlant avec sa vivacité et sa brusquerie habituelle, vous savez, c’est fort juste, fort convenable d’aimer ses parents lorsqu’on les possède, et de conserver leur mémoire lorsqu’ils n’existent plus, si on les a connus. Mais comme jamais je ne les ai connus, pour ma part, vous comprenez que je n’ai pas lieu de les regretter beaucoup. Et c’est ce que je fais, je ne m’en cache pas. »