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— Comment donc ! oui, dit négligemment Martin. J’aurais cru qu’il avait assez à faire de songer à son plaisir sans s’occuper de vous, Pinch.

— C’est aussi ce que je croyais, répliqua Tom ; mais non, il a tenu sa parole, et il me dit : « Cher Pinch, je pense souvent à vous, » et toutes sortes d’autres choses amicales de cette nature.

— Il faut que ce soit un diablement bon garçon, dit Martin d’un ton assez bourru ; car vous concevez bien qu’il ne dit pas là ce qu’il pense.

— J’espère bien que si, répondit Tom, interrogeant du regard le visage de son compagnon ; vous croyez donc que c’est seulement pour me faire plaisir ?

— Sans doute, répondit très-vivement Martin. Est-il vraisemblable qu’un jeune homme fraîchement échappé de ce chenil de village, et tout entier au charme nouveau d’être à Londres et de s’y appartenir, puisse avoir le temps ou le désir de s’occuper de ce qu’il a pu laisser ici ? Voyons ! je vous le demande, Pinch, est-ce naturel ? »

Après un moment de réflexion, M. Pinch répondit, en baissant encore plus la voix, que certainement il n’était pas raisonnable de le croire, et que, sans aucun doute, Martin s’y connaissait mieux que lui.

« Je crois bien, dit Martin.

— C’est vrai, dit doucement M. Pinch ; c’est ce que je disais. »

Cette réponse faite, ils retombèrent dans un silence morne, qui se prolongea jusqu’à ce qu’ils eussent atteint la maison. Il était nuit noire.

Or, miss Charity Pecksniff, ne pouvant emporter des provisions de bouche en diligence, ni les conserver, en attendant le retour de la famille, par des moyens artificiels, avait mis en évidence, dans une couple d’assiettes, les débris du grand festin de la veille. Grâce à cet arrangement libéral, Martin et Tom eurent la bonne fortune de trouver dans le parloir, à leur disposition, les vestiges confus de tout ce qui avait survécu aux plaisirs de la nuit précédente : à savoir quelques quartiers filandreux d’oranges, quelques sandwiches momifiés, des morceaux rompus du gâteau de ménage, et plusieurs biscuits de mer encore entiers. La liqueur de choix, destinée à arroser ces friandises, ne manquait pas non plus ; le reste des deux bouteilles de vin de groseille avait été réuni en une seule, dont le bouchon était fait d’une papillote sacrifiée,