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M. Pecksniff. La diligence ayant paru au même instant, Tom ne perdit pas une minute pour supplier M. Pecksniff de vouloir bien faire parvenir sa lettre.

— Oh ! dit celui-ci, regardant la suscription, pour votre sœur, Thomas. Oui, oui, la lettre sera remise, monsieur Pinch ; vous pouvez être tranquille, votre sœur l’aura certainement, monsieur Pinch. »

Il fit cette promesse avec un tel air de condescendance, de protection, que Tom crut avoir sollicité une haute faveur : c’est une idée qui ne lui était pas venue d’abord, et il remercia chaleureusement. Les deux miss Pecksniff, selon leur usage, tombèrent dans un fou rire d’entendre parler de la sœur de M. Pinch. Quelque horreur, sans doute ! Pensez ! une demoiselle Pinch !… bonté céleste !…

Tom, cependant, se réjouit infiniment de les voir si gaies, car il prit leurs rires pour une marque de sympathie bienveillante et cordiale. En conséquence, il se mit aussi à rire et se frotta les mains, en leur souhaitant bon voyage et heureux retour ; il se sentait tout guilleret. Même quand la diligence eut recommencé à rouler avec les branches d’olivier dans le coffre et la famille de colombes à l’intérieur, Tom resta à la même place, agitant la main et envoyant force saluts : la courtoisie extraordinaire des jeunes miss l’avait tellement pénétré de reconnaissance, qu’il ne songeait plus, en ce moment, à Martin Chuzzlewit, qui se tenait appuyé d’un air pensif contre le poteau de poste, et qui, après avoir mis en lieu sûr son précieux dépôt, n’avait pas détaché ses yeux du sol.

Le silence profond qui suivit le mouvement bruyant et le départ de la diligence, puis l’air vif d’une après-midi d’hiver, arrachèrent les deux jeunes gens à leurs méditations respectives. Ils se retournèrent comme d’un mutuel accord, et s’éloignèrent bras dessus bras dessous.

« Comme vous êtes mélancolique ! dit Tom. Qu’avez-vous ?

— Rien qui vaille la peine d’en parler, répondit Martin. Peu de chose de plus qu’hier et beaucoup plus, j’espère, que demain. Je me sens découragé, Pinch.

— Eh bien ! s’écria Tom, quant à moi, je me sens, au contraire, plein d’ardeur aujourd’hui ; j’ai rarement été mieux disposé à ne pas engendrer la mélancolie. Comme c’est aimable, de la part de votre prédécesseur, John, de m’avoir écrit, n’est-il pas vrai ?