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douzaine de marches ou même un tuyau de conduite, pour transformer en une œuvre capitale le dessin d’un élève de M. Pecksniff, et faire empocher au gentleman des honoraires très-substantiels ; mais c’est là la magie du génie, qui métamorphose en or tout ce qu’il touche.

« Quand votre esprit aura besoin, dit M. Pecksniff, d’être rafraîchi par un changement d’occupation, Thomas Pinch vous enseignera l’art de cultiver le jardin qui se trouve derrière la maison, ou de mesurer le niveau de la route qui s’étend entre cette maison et le poteau de station, ou toute autre chose pratique et agréable. Il y a là-bas, à l’extrémité de notre terrain, une charretée de briques éparses et un ou deux tas de vieux pots à fleurs. Si vous réussissiez à les empiler, mon cher Martin, en leur donnant une forme qui, à mon retour, me rappelât soit Saint-Pierre de Rome, soit la mosquée de Sainte-Sophie à Constantinople, ce serait un honneur pour vous, et pour moi une charmante surprise. Et maintenant, dit M. Pecksniff, par manière de conclusion, pour laisser là, quant à présent, le chapitre de notre profession et passer aux sujets privés, j’aimerais à causer avec vous dans ma chambre, tandis que je vais boucler mon portemanteau. »

Martin l’accompagna ; ils restèrent en conférence secrète une heure ou deux, laissant Tom Pinch tout seul. Lorsque le jeune homme reparut, il était taciturne et sombre, et durant la journée entière il garda cette attitude : si bien que Tom, après avoir essayé une ou deux fois d’engager avec lui la conversation sur quelque point indifférent, se fit un scrupule de déranger le cours de ses pensées et n’ajouta pas un mot.

Au reste, il n’eût pas eu le loisir d’en dire beaucoup plus, quand bien même il eût trouvé son nouvel ami aussi causeur qu’à l’ordinaire ; car, d’abord et avant tout, M. Pecksniff l’appela pour qu’il posât sur le haut de sa valise, à l’instar des statues antiques, jusqu’à ce qu’elle fût bien fermée ; puis miss Charity l’appela pour lui ficeler sa malle ; puis miss Mercy le fit venir pour qu’il lui raccommodât sa boîte à chapeau ; ensuite il eut à écrire les cartes les plus circonstanciées pour tout le bagage ; puis il donna un coup de main pour descendre les effets ; après cela, il eut à faire porter sous ses yeux tout ce déménagement sur une couple de brouettes jusqu’au poteau de poste à l’extrémité de la ruelle, puis il lui fallut rester auprès en sentinelle, et guetter l’arrivée de la diligence. En résumé, sa besogne de la journée eût été pas-