Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome1.djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’ardeur de ces jeunes espérances ! Il est agréable de savoir que jamais elles ne peuvent être complètement réalisées. Je me souviens d’avoir moi-même songé une fois, aux jours de mon enfance, que les oignons confits poussaient sur les arbres, et que tout éléphant naissait avec une tour imprenable sur son dos. Je n’ai pas trouvé que le fait fût exact, loin de là ; et pourtant ces visions m’ont consolé dans des temps d’épreuve. Elles m’ont consolé, même quand j’ai eu la douleur de découvrir que j’avais nourri dans mon sein une autruche, et non un élève humain ; même en cette heure d’agonie, j’en ai éprouvé du soulagement. »

En entendant cette sinistre allusion à John Westlock, M. Pinch faillit, dans un mouvement brusque, renverser son thé ; le matin même, il avait reçu une lettre de John, et M. Pecksniff le savait bien.

« Vous aurez soin, mon cher Martin, dit M. Pecksniff, recouvrant sa gaieté première, que la maison ne s’envole pas en notre absence. Nous vous livrons tout ; ici pas de mystère : rien de fermé, rien de caché. Bien différent de ce jeune homme du conte oriental, un calendrier borgne, si je ne me trompe, monsieur Pinch…

— Un calendrier borgne, je pense, monsieur, répondit Tom en hésitant.

— C’est à peu près la même chose, j’imagine, dit M. Pecksniff avec un sourire de pitié ; du moins, c’était comme ça de mon temps. Bien différent de ce jeune homme, mon cher Martin, aucune partie de cette maison ne vous est interdite ; loin de là, vous êtes invité à en prendre possession pleine et entière. Amusez-vous, mon cher Martin, et tuez le veau gras, si cela vous plaît ! »

Sans nul doute il n’y avait aucun empêchement à ce que Martin tuât et consacrât à son usage personnel, d’après cette permission, tout veau, gras ou maigre, qu’il pourrait trouver dans la maison ; mais, comme il n’y avait pas lieu de rencontrer aucun animal de ce genre en train de paître sur la propriété de M. Pecksniff, cette invitation devait moins être considérée comme un témoignage d’hospitalité substantielle que comme un compliment de pure politesse. Cette belle phrase termina la conversation d’une manière fleurie ; après quoi, M. Pecksniff se leva et conduisit son élève à la chambre du second étage, la serre chaude du génie architectural.

« Voyons, dit-il en fouillant ses papiers, comment, en mon