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résolutions, ne pouvait s’empêcher de fixer sur lui un œil pétrifié, comme si elle avait vu en face d’elle un fantôme. M. Pecksniff, à chaque fois aussi, devenait également pensif, pour ne pas dire consterné ; il connaissait le cru d’où venait ce liquide, et vraisemblablement il prévoyait d’avance la situation dans laquelle M. Pinch se trouverait le lendemain ; ce qui le faisait aviser mentalement aux meilleurs remèdes contre la colique.

Martin et les jeunes filles étaient déjà comme de vieux amis, et comparaient le souvenir de leurs jours d’enfance à leur gaieté présente, à leur plaisir du moment. Miss Mercy riait comme une folle de tout ce qu’on disait ; parfois même, après avoir considéré la face heureuse de M. Pinch, elle était saisie d’accès d’hilarité qui menaçaient de dégénérer en attaques de nerfs. Mais sa sœur, plus sage, la gourmandait de ses emportements de joie, lui faisant observer à demi-voix, d’un ton de reproche, qu’il n’y avait pas de quoi rire, et qu’elle était insupportable avec cette pauvre créature ; ce qui ne l’empêchait pas généralement de finir par rire aussi, mais pas si fort, en disant que, ma foi ! il n’y avait pas moyen de se retenir.

Enfin il était grand temps qu’on se souvînt de la première clause d’une importante découverte due à un ancien philosophe, et qui a pour but d’assurer le maintien de la santé, de la fortune et de la sagesse, découverte dont l’infaillibilité a été, depuis bien des générations, attestée par les richesses énormes qu’ont amassées les ramoneurs de cheminées et autres philosophes, personnes qui pratiquent le précepte de se lever matin et de se coucher de bonne heure. En conséquence, les jeunes filles se levèrent, et ayant pris congé de M. Chuzzlewit avec infiniment de grâce, de leur père avec beaucoup de respect, et de M. Pinch avec beaucoup de condescendance, se retirèrent dans leur nid. M. Pecksniff insista pour accompagner en haut son jeune ami, afin de s’assurer par lui-même que rien ne lui manquait ; il lui prit donc le bras et le conduisit pour la seconde fois à sa chambre, suivi de M. Pinch, qui portait la lumière.

« Monsieur Pinch, dit Pecksniff, s’asseyant les bras croisés sur un des lits disponibles, je ne vois pas de mouchettes à ce bougeoir. Voulez-vous me rendre le service d’aller en demander une paire ? »

M. Pinch, heureux de pouvoir être utile, y consentit aussitôt.