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écouter. Mais elle est partie maintenant ; et, de toutes les choses improbables qu’il y a dans toute l’étendue de ce bas monde, la plus improbable peut-être c’est que je revoie jamais son visage.

— Et voilà tout ce que vous en savez ?

— Rien de plus.

— Et jamais vous ne l’avez suivie, lorsqu’elle s’en allait ?

— Pourquoi vouliez-vous que j’allasse lui donner ce déplaisir ? dit Tom Pinch. Est-il probable qu’elle eût accepté ma compagnie ? Elle venait entendre l’orgue et non me voir ; et voudriez-vous que je l’eusse chassée d’un lieu qu’elle semblait aimer de plus en plus ? Dieu me pardonne ! s’écria-t-il, pour lui donner chaque jour ne fût-ce qu’une minute de plaisir, je serais plutôt resté là à jouer, sans désemparer, jusqu’à ce que je fusse devenu un vieillard ; me tenant pour satisfait si quelquefois en songeant à la musique elle songeait, par la même occasion, à un pauvre garçon comme moi, et amplement récompensé si dans l’avenir elle mêlait le souvenir de l’inconnu au souvenir de quelque chose qu’elle aimât comme elle aimait la musique ! »

La faiblesse de M. Pinch jeta le nouveau pensionnaire dans un étonnement qu’il lui eût probablement avoué en lui donnant un bon avis, n’était qu’ils se trouvèrent arrivés justement à la porte de M. Pecksniff, la grande porte, car on l’avait ouverte pour cette occasion signalée de fête et de réjouissance. Le même domestique que, le matin, M. Pinch avait prié de contenir le cheval et de ne point céder à son impatiente ardeur, attendait en vigie. Après avoir remis l’animal à ses soins et supplié tout bas M. Chuzzlewit de ne jamais révéler une syllabe de ce qu’il lui avait confié dans la plénitude de son cœur, Tom fit entrer le pensionnaire pour la présentation, qui devait avoir lieu immédiatement.

Évidemment M. Pecksniff ne les attendait que dans quelques heures ; car il était entouré de livres ouverts, qu’il consultait volume par volume, avec un crayon de mine de plomb dans la bouche, un compas à la main, interrogeant un grand nombre d’épures, de formes si extraordinaires qu’on eût dit des dessins de feux d’artifice. Miss Charity non plus ne les attendait pas ; car elle était occupée, avec un large panier d’osier devant elle, à faire pour les pauvres des bonnets de nuit fantastiques. Miss Mercy non plus ne les attendait pas ; car elle était assise sur son tabouret en train de façonner, la bonne