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— Ce vieux monsieur, de l’autre côté de la rue ? dit Olivier. Certainement je le vois.

— On va lui faire son affaire, dit le Matois.

— Fameuse trouvaille ! » ajouta Charlot Bates.

Olivier les considérait l’un après l’autre avec surprise, mais il n’eut pas le temps de les questionner, car ils traversèrent la rue à pas de loup, et allèrent se planter derrière le vieux monsieur qui faisait l’objet de son attention. Olivier les suivit à quelques pas de distance, et, ne sachant s’il devait avancer ou reculer, il resta immobile et ouvrit de grands yeux.

Le vieux monsieur avait l’extérieur le plus respectable, la tête poudrée et des lunettes d’or. Il portait un habit vert bouteille avec un collet de velours noir, un pantalon blanc, et sous le bras une canne de bambou. Il avait pris un livre à l’étalage, et le parcourait debout avec autant d’attention que s’il eût été dans son cabinet, assis dans un fauteuil. Il est même probable qu’il s’imaginait y être ; car il était évident, tant il était absorbé, qu’il ne voyait plus ni l’étalage du libraire, ni la rue, ni les jeunes garçons, ni quoi que ce fût sauf son livre qu’il lisait en conscience, tournant le feuillet quand il arrivait au bas d’une page, recommençant sa lecture à la première ligne de la page suivante et continuant ainsi de page en page avec le plus vif intérêt.

Quels ne furent pas l’horreur et l’effroi d’Olivier, placé à quelques pas en arrière, et regardant de tous ses yeux, quand il vit le Matois plonger sa main dans la poche du vieux monsieur, en tirer un mouchoir qu’il passa à Charlot Bates, puis gagner le coin de la rue avec son camarade en fuyant à toutes jambes !

En un instant, tout le mystère des mouchoirs, des montres, des bijoux, et de l’existence même du juif, se dévoila à l’esprit de l’enfant. Il resta un instant immobile, et la terreur faisait bouillonner son sang si fort qu’il se crut dans un brasier ; puis, épouvanté et confus, il prit ses jambes à son cou, et, ne sachant plus ce qu’il faisait, il s’enfuit au plus vite.

Tout cela fut l’affaire d’une minute, et, au moment même où Olivier prenait sa course, le vieux monsieur, cherchant son mouchoir dans sa poche, et ne l’y trouvant plus, se retourna brusquement. Quand il vit l’enfant s’enfuir si vite, il pensa naturellement qu’il était le voleur ; il se mit à courir après Olivier, sans quitter son livre, et à crier de toutes ses forces : « Au voleur ! au voleur ! »

Le vieux monsieur ne fut pas longtemps seul à crier ainsi.