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forts pour respirer, balancé pour ainsi dire entre la vie et la mort, et penchant davantage vers cette dernière. Si pendant ce court espace de temps Olivier eût été entouré d’aïeules empressées, de tantes inquiètes, de nourrices expérimentées et de médecins d’une profonde sagesse, il eût infailliblement péri en un instant ; mais comme il n’y avait là personne, sauf une pauvre vieille femme, qui n’y voyait guère par suite d’une double ration de bière, et un chirurgien payé à l’année pour cette besogne, Olivier et la nature luttèrent seul à seul. Le résultat fut qu’après quelques efforts, Olivier respira, éternua, et donna avis aux habitants du dépôt, de la nouvelle charge qui allait peser sur la paroisse, en poussant un cri aussi perçant qu’on pouvait l’attendre d’un enfant mâle qui n’était en possession que depuis trois minutes et demie de ce don utile qu’on appelle la voix.

Au moment où Olivier donnait cette première preuve de la force et de la liberté de ses poumons, la petite couverture rapiécée jetée négligemment sur le lit de fer s’agita doucement. La figure pâle d’une jeune femme se souleva péniblement sur l’oreiller, et une voix faible articula avec difficulté ces mots : « Que je voie mon enfant avant de mourir ! »

Le chirurgien était assis devant le feu, se chauffant et se frottant les mains tour à tour. À la voix de la jeune femme il se leva, et s’approchant du lit, il dit avec plus de douceur qu’on n’en eût pu attendre de son ministère :

« Oh ! il ne faut pas encore parler de mourir.

— Oh ! non, que Dieu la bénisse, la pauvre chère femme, dit la garde en remettant bien vite dans sa poche une bouteille dont elle venait de déguster le contenu avec une évidente satisfaction ; quand elle aura vécu aussi longtemps que moi, monsieur, qu’elle aura eu treize enfants et en aura perdu onze, puisque je n’en ai plus que deux qui sont avec moi au dépôt, elle pensera autrement. Voyons, songez au bonheur d’être mère, avec ce cher petit agneau. »

Il est probable que cette perspective consolante de bonheur maternel ne produisit pas beaucoup d’effet. La malade secoua tristement la tête et tendit les mains vers l’enfant.

Le chirurgien le lui mit dans les bras ; elle appliqua avec tendresse sur le front de l’enfant ses lèvres pâles et froides ; puis elle passa ses mains sur son propre visage, elle jeta autour d’elle un regard égaré, frissonna, retomba sur son lit, et mourut ; on lui frotta la poitrine, les mains, les tempes ; mais