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d’un fossé fangeux, profond de six ou huit pieds, et large de quinze ou vingt à la marée haute, qu’on appelait jadis Mill-Pond et qui est connu maintenant sous le nom de Folly-Ditch. Ce fossé aboutit à la Tamise et peut toujours être rempli d’eau en ouvrant les écluses de Lead-Mills, d’où lui venait son ancien nom. Alors un étranger placé sur un des ponts de bois qui sont jetés sur le fossé à Mill-Lane, pourrait voir les habitants des maisons qui le bordent de chaque côté puiser l’eau dans des baquets, des seaux, des ustensiles de tout genre, qui descendent des portes ou des fenêtres ; et, s’il porte ses regards sur les maisons elles-mêmes, son étonnement redoublera à la vue du spectacle étalé devant lui : des galeries de bois vermoulu s’étendant derrière une demi-douzaine de maisons et percées de trous à travers desquels on peut voir l’eau bourbeuse qui coule au-dessous ; des fenêtres faites de pièces et de morceaux, laissant passer des perches à sécher le linge (comme s’il y avait du linge dans ces parages) ; des chambres si étroites, si resserrées et si sales, que l’air s’y corrompt en y entrant ; des constructions en bois qui penchent sur le fossé et qui menacent d’y tomber pour imiter les autres, qui ont déjà pris ce parti ; des murs noircis, des fondations dégradées ; enfin tout ce que la pauvreté a de plus repoussant : tels sont les objets qui ornent les bords de Folly-Ditch.

Dans l’île de Jacob, les magasins sont vides et n’ont plus de toits ; les murs s’écroulent de toute part, les fenêtres ne sont plus des fenêtres, les cheminées sont noires, mais il n’en sort plus de fumée. Il y a trente ou quarante ans, c’était un quartier assez commerçant, maintenant ce n’est plus qu’un désert ; les maisons n’appartiennent à personne et servent de retraite à ceux qui ont le courage d’y vivre et d’y mourir. Pour chercher un refuge dans l’île de Jacob, il faut avoir de puissantes raisons de se cacher ou être réduit au plus affreux dénûment.

Dans une de ces maisons en ruine, dont les portes et les fenêtres étaient solidement barricadées, et qui donnait par derrière sur le fossé, comme nous venons de le décrire, étaient réunis trois hommes qui tantôt échangeaient entre eux des regards inquiets, comme s’ils étaient dans l’attente de quelque grave événement, et tantôt restaient immobiles et silencieux : c’étaient Tobie Crackit, M. Chitling et un voleur âgé de cinquante ans au moins, qui avait eu le nez brisé dans quelque ancienne rixe, et dont le visage était défiguré par une grande