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mort, laissant des affaires fort embrouillées. Votre père partit, fut atteint à Rome d’une maladie mortelle, et, dès que votre mère l’apprit à Paris, elle le suivit et vous emmena avec elle. Le lendemain de votre arrivée, votre père mourut, ne laissant pas de testament ; pas de testament, vous m’entendez, en sorte que toute la fortune revint à votre mère et à vous. »

En cet endroit du récit, Monks ne soufflait plus et écoutait d’un air singulièrement attentif, bien que ses yeux ne fussent pas tournés vers le narrateur. Quand M. Brownlow s’arrêta, il changea de position comme un homme qui éprouve un soulagement inattendu, et passa les mains sur son visage brûlant.

« Avant de se mettre en route, votre père avait passé par Londres, dit M. Brownlow avec lenteur en regardant fixement son interlocuteur ; il vint me voir.

— Je n’ai jamais entendu parler de cela, interrompit Monks d’un air d’incrédulité affectée, mais en éprouvant la plus désagréable surprise.

— Il vint me voir et me laissa entre autres choses un portrait, un portrait peint par lui-même, de cette pauvre jeune fille ; il ne pouvait l’emporter avec lui et regrettait de le quitter. Il était miné par les soucis et par les remords ; il me dit en termes vagues et incohérents qu’il avait perdu et déshonoré une famille ; il me confia l’intention qu’il avait de convertir à tout prix sa fortune en espèces, d’assurer à sa femme et à vous une partie de sa nouvelle fortune et de s’expatrier pour toujours. Je ne devinai que trop qu’il ne s’expatrierait pas seul. Même à moi, son ami d’enfance, dont l’attachement pour lui avait pris racine sur la tombe de sa sœur chérie, même à moi, il ne fit aucun aveu plus complet. Il me promit de m’écrire, de tout me dire, et de venir ensuite me voir encore une dernière fois avant de s’éloigner pour toujours. Hélas ! c’était ce jour-là même que je le voyais pour la dernière fois. Je n’ai reçu de lui aucune lettre, et je ne l’ai plus revu.

« Je me rendis, ajoute M. Brownlow, après un instant de silence, je me rendis sur le théâtre de son… (je puis parler ici le langage du monde, car l’indulgence et la rigueur du monde ne lui font plus rien à présent)… sur le théâtre de son coupable amour, décidé, si mes craintes se réalisaient, à offrir à cette pauvre enfant abandonnée un foyer pour l’abriter et un cœur pour la plaindre. Sa famille avait quitté le pays huit jours auparavant ; ils avaient acquitté quelques