Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tune avait jeté sur son chemin un pauvre orphelin sans nom, que l’être le plus vil pouvait montrer du doigt avec mépris, il se vengeait sur lui avec usure. C’est là un intéressant sujet de réflexion. Nous voyons sous quel beau côté se montre parfois la nature humaine, et avec quelle similitude les mêmes qualités aimables se développent chez le plus noble gentilhomme et chez le plus sale enfant de charité.

Il y avait trois semaines ou un mois qu’Olivier demeurait chez l’entrepreneur de pompes funèbres, et M. et Mme Sowerberry, après avoir fermé la boutique, soupaient dans la petite arrière-boutique, quand M. Sowerberry, après avoir considéré sa femme à plusieurs reprises de l’air le plus respectueux, entama la conversation.

« Ma chère amie… »

Il allait continuer, mais Mme Sowerberry leva les yeux d’une façon si revêche qu’il s’arrêta court.

« Eh bien, quoi ? dit Mme Sowerberry avec humeur.

— Rien, chère amie, rien du tout, dit M. Sowerberry.

— Hein ? niais que vous êtes, dit Mme Sowerberry.

— Du tout, ma chère, dit humblement M. Sowerberry ; je pensais que vous ne vouliez pas m’écouter ; je voulais dire seulement…

— Oh ! gardez pour vous ce que vous aviez à dire, interrompit Mme Sowerberry ; je suis comptée pour rien ; ne me consultez pas, entendez-vous ? Je ne veux pas me mêler de vos secrets. »

À ces mots, elle poussa un éclat de rire affecté qui faisait craindre des suites violentes.

« Mais, ma chère, dit Sowerberry, il me faut votre avis.

— Non, non, que vous importe mon avis ? répliqua la femme d’un air pincé ; demandez conseil à d’autres. »

Et elle réitéra ce rire forcé qui faisait trembler M. Sowerberry. Elle suivait en ceci la politique ordinaire aux femmes, celle qui leur réussit le plus souvent : elle forçait son mari à solliciter comme une faveur la permission de lui dire ce qu’elle était curieuse d’apprendre, et, après une petite querelle qui ne dura pas tout à fait trois quarts d’heure, elle accorda généreusement cette permission.

« C’est seulement au sujet du petit Olivier, dit M. Sowerberry ; il a fort bonne mine, cet enfant.

— Le beau miracle ! il mange assez pour ça, répondit la dame.

— Ses traits ont une expression de tristesse qui lui donnent