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Il n’y avait rien dans tout cela qui pût attirer l’attention ou éveiller les craintes de Sikes. Il paya son écot et resta silencieux et inaperçu dans son coin ; il allait s’endormir profondément, quand il fut tiré de son demi-sommeil par l’arrivée d’un nouveau venu.

C’était un vieux routier, à la fois colporteur et charlatan, qui parcourait à pied les campagnes pour vendre des pierres à repasser, des cuirs à rasoir, des rasoirs, des savonnettes, du cirage pour les harnais, des drogues pour les chiens et les chevaux, de la parfumerie commune, du cosmétique et autres articles semblables, contenus dans une balle qu’il portait sur son dos. Son entrée fut saluée par les paysans de mille plaisanteries qui ne tarirent pas jusqu’à ce qu’il eut fini de souper. Alors il eut l’idée ingénieuse d’unir l’utile à l’agréable, et déballa sa pacotille pour tenter les chalands.

« Qu’est-ce que c’est que ça, Henry ? est-ce bon à manger ? demanda un plaisant de village en montrant du doigt des tablettes de savon posées dans un coin.

— Ça ? dit le colporteur, en en prenant une qu’il montra à toute l’assistance, c’est une composition infaillible et inappréciable pour enlever toutes les taches ; taches de rouille, taches de boue, taches d’humidité, taches de toute sorte, petites ou grandes, sur la soie, le satin, la batiste, la toile, le drap, le crêpe, les tapis, le mérinos, la mousseline, et tous les tissus possibles ; taches de vin, taches de fruits, taches de bière, taches d’eau, taches de peinture, taches de poix, taches quelconques, disparaissent à l’instant à l’aide de cette infaillible et inappréciable composition. Une dame a-t-elle une tache à son honneur ? elle n’a qu’à avaler une de ces tablettes, et elle est guérie pour toujours… car c’est du poison. Un monsieur a-t-il besoin de fournir une preuve du sien, il n’a qu’à en prendre une tablette, et son honneur est pour toujours hors de question… Le résultat est tout aussi satisfaisant qu’avec une balle de pistolet, et, comme la saveur en est bien plus désagréable, il y a d’autant plus d’honneur à s’en servir… Un penny la tablette !… Tout ça pour la bagatelle d’un penny ! »

Deux acheteurs se présentèrent aussitôt ; le reste de l’auditoire hésitait ; ce que voyant, le vendeur redoubla de loquacité.

« On ne peut suffire à en fabriquer assez, dit-il ; c’est enlevé à l’instant. Quatorze moulins, six machines à vapeur et une pile électrique, marchent sans s’arrêter, et ça ne suffit pas. Les