Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/357

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ici ; nous l’avons retenue plus longtemps qu’elle ne s’y attendait.

— Oui, oui, dit vivement Nancy, je devrais être bien loin.

— Comment cette pauvre fille finira-t-elle ? s’écria Rose.

— Comment ? répéta Nancy ; regardez devant vous, mademoiselle ; regardez ces flots sombres : n’avez-vous pas souvent entendu dire que des malheureuses comme nous se jettent à l’eau sans que âme qui vive s’en inquiète ou les regrette ? Ce sera peut-être dans des années, peut-être dans quelques mois, mais c’est comme cela que je finirai.

— Ne parlez pas ainsi, je vous en prie, dit la jeune demoiselle en sanglotant.

— Vous n’en saurez rien, chère demoiselle, répondit Nancy, et Dieu veuille que de telles horreurs n’arrivent jamais à vos oreilles ! Adieu ! adieu !… »

Le monsieur fit un pas pour s’éloigner.

« Prenez cette bourse, dit Rose ; prenez-la pour l’amour de moi, afin d’avoir quelques ressources dans un moment de besoin ou d’inquiétude ?

— Non, non, répondit Nancy ; je n’ai pas fait cela pour de l’argent ; laissez-moi la satisfaction de penser que je n’ai pas agi par intérêt, et pourtant donnez-moi quelque objet que vous ayez porté : je voudrais avoir quelque chose… Non, non, pas une bague… Vos gants ou votre mouchoir, quelque chose que je puisse garder comme vous ayant appartenu, ma bonne demoiselle… C’est cela ; merci ! Que Dieu vous bénisse ! Bonsoir ! »

Nancy était en proie à une si violente agitation et semblait tellement craindre d’être découverte que le monsieur se décida à la quitter comme elle le demandait ; on entendit le bruit des pas qui s’éloignaient, et tout redevint silencieux.

La jeune demoiselle et son compagnon arrivèrent bientôt sur le pont ; ils s’arrêtèrent au haut de l’escalier.

« Écoutez, dit Rose en prêtant l’oreille, n’a-t-elle pas appelé ? J’ai cru entendre sa voix.

— Non, ma chère, répondit M. Brownlow en regardant tristement en arrière ; elle n’a pas bougé ; elle attend que nous soyons éloignés. »

Rose Maylie était navrée ; mais le vieux monsieur lui prit le bras, le mit sous le sien et l’entraîna doucement.

Dès qu’ils eurent disparu, Nancy se laissa tomber tout de son long sur l’une des marches de pierre, et dans son angoisse versa des larmes amères.