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de rire sans motif, de s’agiter sans cause apparente ; puis, quelques instants après, elle restait assise, silencieuse et abattue, la tête dans ses mains, et l’effort qu’elle faisait pour sortir de cet état d’abattement, indiquait mieux encore que tous les autres signes, combien elle était mal à l’aise et combien ses pensées étaient loin des sujets discutés par ceux qui l’entouraient.

On était arrivé au dimanche soir, et l’horloge de l’église voisine sonnait l’heure. Sikes et le juif étaient en train de causer, mais ils s’arrêtèrent pour écouter. La jeune fille, accroupie sur une chaise basse, leva la tête et écouta aussi attentivement ; onze heures sonnaient.

« Il sera minuit dans une heure, dit Sikes en levant le rideau pour regarder dans la rue ; il fait noir comme dans un four ; voilà une nuit qui serait bonne pour les affaires.

— Ah ! répondit le juif ; quel dommage, Guillaume mon ami, que nous n’ayons rien à exécuter pour le moment !

— Vous avez raison une fois dans votre vie, dit brusquement Sikes, c’est dommage, car je suis en bonnes dispositions. »

Le juif soupira et hocha la tête d’un air découragé.

« Il faudra réparer le temps perdu, dit Sikes, dès que nous aurons mis en train quelque bonne opération.

— Voilà ce qui s’appelle parler, mon cher, répondit le juif, en se hasardant à lui poser la main sur l’épaule ; cela me fait du bien de vous entendre parler ainsi.

— Cela vous fait du bien ! s’écria Sikes ; tant mieux, en vérité.

— Ha ! ha ! ha ! fit le juif en riant, comme s’il était encouragé par cette concession de Sikes ; je vous reconnais ce soir, Guillaume, vous voilà tout à fait dans votre assiette.

— Je ne suis pas dans mon assiette quand je sens votre vieille griffe sur mon épaule ; ainsi, à bas les pattes, dit Sikes, en repoussant la main du juif.

— Cela vous agace les nerfs, Guillaume, il vous semble qu’on vous pince, n’est-ce pas ? dit le juif, résolu à ne se fâcher de rien.

— Cela me fait l’effet comme si j’étais pincé par le diable, répliqua Sikes. Il n’y a jamais eu d’homme avec une mine comme la vôtre, sauf peut-être votre père, et encore je suppose que sa barbe rousse est grillée depuis longtemps ; à moins que vous ne veniez tout droit du diable, sans aucune génération intermédiaire, ce qui ne m’étonnerait pas le moins du monde. »